En paix dans un monde polarisé

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Pensez à un de ces sujets de société, un de ceux qui font parler de la télé jusqu’à la machine à café. Pensez à un qui vous touche, un pour lequel vous vous sentez engagé.

C’est bon ? Vous avez trouvé ?

Vous voilà d’un côté de la barrière. Il y a longtemps vous avez pris position. Ça vous était juste sorti de la tête. Maintenant, ça vous revient.

De l’autre côté de la barrière, il y a ceux qui s’opposent à l’évidence.

Pensez-y, pensez à eux et à leur rhétorique. Sentez comme les battements de votre cœur s’accélèrent. En se basant sur les mêmes données que vous, ils arrivent à une conclusion diamétralement opposée. Faisant fi de toute logique, du bon sens, et d’un cœur placé au bon endroit, ils s’obstinent. Ils s’enfoncent dans leurs retranchements et se moquent tout ceux qui comme vous ont deux sous de sens commun.

Vous n’avez sans doute pas trop d’amour dans votre cœur pour ces gens-là, non ? Ou en tout cas pas maintenant.

Et pourtant…

Ces gens, si vous regardez bien, ce n’est pas une catégorie abstraite, juste un pur jeu de pensée. Non, ces gens-là, vous en connaissez. Vous en connaissez au travail, dans votre voisinage, et peut être même dans votre famille. Parmi eux, il y en a certain qui trouvaient grâce à vos yeux avant d’affirmer haut et fort leur avis déplorable. Certains que vous appréciez alors, peut-être même que vous aimiez. Et là, alors que vous pensez au mur qui vous sépare, à ce sujet si important, et à leur refus incompréhensible de voir la vérité en face, est ce que vous sentez la même appréciation ?

Mais que s’est-il passé ?

Ils sont victimes d’un lavage de cerveau en règle ? de mauvaises fréquentations ?

Est-ce que le sujet n’a fait que révéler ce vilain côté jusqu’ici caché de tous ?

Difficile de dire d’où je suis, par contre, à priori vous devez vous sentir bien moins Zen qu’avant de commencer à lire cet article.

Des gilets jaunes jusqu’à la guerre Israël/Palestine, en passant par le COVID, en France nous ne manquons pas de raison de nous étriper. Le phénomène peut sembler nouveau mais je me rappelle d’une certaine gravure dans un livre d’histoire quand j’étais au collège qui dit tout à fait le contraire.

surtout ne parlons pas de l’affaire Dreyfus ! / … ils en ont parlé

Les sujets qui divisent ne datent pas d’aujourd’hui, ce qui semble avoir changé c’est peut-être la fréquence de leur apparition au centre du débat national.

S’il n’y pas de militaires dans les rues mais après deux heures de BFM on a l’impression par moment d’être dans un pays en guerre. L’ennemi est partout, il est caché, alors au nom de la transparence et par solidarité avec ceux qui souffrent au front, nous sommes sommés d’afficher nos couleurs, de clamer haut et fort notre appartenance. Alors qu’on est bombardé d’histoires de gens victime de la dernière folie du moment, on ne peut rester lâchement silencieux. Alors on s’exprime, on écoute, et la carte du monde se précise. On voit mieux où est la frontière entre les gens sensés et les autres. On choisit nos médias, ceux qui disent la vérité, et nous voilà dans le maquis, dans la résistance, ou en train de protéger le pays des barbares à ses portes tout comme de ses ennemis infiltrés.

Nous croyons avoir quelque part une famille de cœur, un cercle constitué de partisans de la bonne cause, mais voilà que le nouveau sujet du moment vient bousculer la frontière entre la raison et la folie. Les ennemis d’hier deviennent les alliés du jour et vice versa.   

Les francs-maçons ont une poignée de mains très particulière qui leur permet de se reconnaitre entre eux en toute discrétion. Mais le temps des luttes clandestine est terminé, maintenant il faut parler, alors pour montrer patte blanche, on débite le crédo de notre camp.

Certain,s pour éviter toute confusion quant à leur appartenance et à leurs intentions ou souvent pour sortir leur épingle du jeu, font la seule chose de possible quand on est dans un monde si polarisé, ils redoublent d’intensité. De croyants ils se font ayatollahs et inquisiteurs, du mépris ils passent à la haine. Ils appellent à l’action. Il faut isoler les impies, il faut leur couper la parole, il faut les éjecter de la société eux et ceux qui refusent de voir la gravité de leurs actions. Si, rares sont ceux qui osent, à visages découverts, appeler au meurtre, dans les espaces virtuels des forums et des réseaux sociaux, les langues se délient, et même chez les éléments plus modérés, la destruction virtuelle des mécréants semble largement acceptée.

Ce qui est formidable dans l’affaire c’est qu’on va se rendre malade pour des choses souvent très éloignées de notre quotidien. Par la vertu de témoignages poignants on se sent impliqué dans des histoires et des luttes se situant à des milliers de kilomètres de chez nous, ou ne nous concernant absolument pas. Mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour être du bon côté de l’Histoire ?

On nous a vendu le rêve démocratique : notre voix à de l’importance, mais il est difficile de nier que statistiquement elle n’en a AUCUNE. Dites-le à voix haute et on vous répondra : « vous vous rendez compte si tout le monde pense comme vous alors plus personne ne va voter… et on va alors … »

Alors quoi ? Poursuivez, je vous écoute…

D’autres personnes pourraient aussi vous dire que si plus personne ne va voter, alors les politiques vont réaliser que personne ne leur fait confiance, et alors ils vont amender leurs pratiques… et oui, bien sûr, c’est avec ce genre de logique naïve qu’on a aussi cru que grâce aux machines les gens cesseraient de travailler. D’autres pensent qu’on aura pire qu’avant et je peux vous dire que…

Et mince je me suis retrouvé embarqué dans le débat « pour ou contre le vote blanc », je viens d’oublier que je ne suis pas responsable de ce que font les autres, je suis responsable de ma voix, qui n’a dans le débat AUCUN…

Il est clair que c’est rassurant de croire que le monde existe et que les influences sont réciproques, nous ne sommes pas des victimes impuissantes, nous pouvons résister.

Quand on soumet des rats en cage à des électrocutions complètement aléatoires, ils vont se retourner les uns contre les autres. Devant la folie du monde, la violence ça défoule. Si on leur retire la possibilité de se battre entre eux, ils se mettent à dépérir. Si on leur donne un bouton pressoir qui au début va interrompre les décharges, mais seulement au début, ils peuvent survivre en appuyant sur un bouton inefficace encore pendant très longtemps. J’imagine qu’ils se rassurent en se disant que ça pourrait de nouveau en avoir. Devant les injures, les mensonges et la maltraitance répétée des politiques on se rassure en mettant son bulletin dans l’urne, en criant nos opinions et en prenant à parti ceux qui ne les partagent pas.

Qui sommes-nous ?

Nos corps qui après des débuts merveilleux lâchent de toute part ?

Nos émotions qui ne cessent de changer ?

Ou encore nos croyances et nos opinions ?

Dans notre fuite acharnée du néant nous nous réfugions dans des châteaux bâtis sur le sable. Nous travaillons notre corps et son emballage, et nous nous drapons dans nos belles opinions. Mais sont-elles vraiment nôtres ? Quelle est la dernière opinion originale que nous avons eue ? Quand avons-nous fait la dernière fois des recherches approfondies pour peser le pour et le contre ? Il fut un temps nous recrachions les opinions de papa et maman, puis à l’adolescence celle des copains, et puis nous nous sommes voués aux paroles des experts, des journalistes/propagandistes de tout bords, des vendeurs, des gourous et autres influenceurs.

A travers nos choix nous avons trouvé des familles d’opinions, et puis confortablement installés dans ce cocon doré, souvent, sans même nous en apercevoir nous avons signé un chèque en blanc aux grands penseurs du partis. En cas de schisme dans celui-ci, on s’orientera à l’instinct puis on justifiera la bascule en recrachant le nouveau crédo.

On dira penser alors qu’on ne fait que rationnaliser.

Bien sûr j’exagère.

Peut-être.

Des fois on pense.

Mais c’est rare.

Penser c’est dur, très dur, surtout quand on n’en a pas l’habitude.

Un atome, en termes de volume, c’est du vide à plus de 99,999%. Du vide et beaucoup d’agitation. En fait si on arrêtait l’agitation et qu’on enlevait tout le vide de la terre, celle-ci tiendrait sur moins d’une dizaine de terrains de football.

On est bien peu de chose. A deux doigts du néant, pour bannir au loin nos angoisses existentielles et pour se sentir exister on parle haut et fort. Mais est-ce que ça marche ? Est-ce que ces opinions sont à notre service ?

La bonne nouvelle c’est que majoritairement oui, en tout cas au début. Comme les roulettes de notre première bicyclette, elles sont un formidable soutient pour les aspects les plus basiques de la vie d’humain. Elles nous guident dans nos gestes quotidiens, au travail, pour conduire, pour interagir… On a besoin d’un système pour opérer dans le monde physique. Nos opinions nous orientent aussi dans nos loisirs, dans la connexion que nous pouvons opérer avec les autres, à travers nos intérêts partagés.

Tout n’est pas à jeter, et pour ce qui est de ces mille et une polarisations inutiles qui vont nous vider de nos énergies en nous transformant en des don quichottes ridicules, on peut tout à fait avoir une petite opinion, la garder pour soi et puis lâcher le sujet. C’est tout à fait possible, et d’ailleurs c’est souvent comme ça que nous opérions.

L’origine du mal

Qu’est ce qui fait que certaines idées deviennent aussi polarisantes ? Qu’on ne se contente plus d’avoir une opinion et qu’on finisse par se retrouver dans un pays coupé en deux où le vernis de civilité s’écaille si rapidement ?

Vadim Zeland dans son ouvrage « Transurfing », donne une explication surprenante du phénomène au travers de son concept de balancier. L’univers est vie, et tout ce qui est nourri par la pensée/conscience humaine se développe, et finit par prendre son autonomie. Ce phénomène est décuplé quand ce n’est pas une personne mais une multitude qui nourrit cette pensée. Le balancier est une opinion qui a dépassé un seuil critique, elle est tellement forte qu’elle finit par attirer à elle l’attention de toutes les consciences à proximité.

Qu’elles soient alignées avec celle-ci ou qu’elles s’y opposent, peu importe. En braquant sur elle leur attention les consciences la nourrissent, et ainsi la renforcent. C’est un parasite terrible, qui vous embarque en un rien de temps

Le seul moyen de s’en défaire est d’être vigilant et rejeter toutes les idées qu’elle va provoquer en nous, le plus rapidement possible. Si vous lui donnez un doigt, en deux temps trois mouvements elle vous aura mangé le bras. Elle drainera votre énergie, orientera votre vie, et vous rendra au final malheureux (offusqué, en colère, méprisant, victimisé, …) Si elle n’arrive pas à vous atteindre directement elle le fera au travers de votre entourage, car à un certain stade elle finit par s’infiltrer dans la plupart des conversations.

Autre manière d’expliquer le phénomène, il y a une version « complotiste », qui y voit un détournement d’attention : alors que bombardé d’horreurs à la télévision vous finissez par regarder au loin, les méchants vous font les poches.

Si vous êtes branchés OVNIS, reptiliens et compagnie, on reste dans une veine complotiste sauf qu’au lieu d’une cabale de franc maçons ou de je ne sais qu’elle autre société secrète, ce sont les extraterrestres qui caché de l’autre côté du voile tirent les ficelles. Ils ne le font pas pour vendre le pays en petit morceau aux industriels qui les ont mis au pouvoir, non, comme pour les balanciers de Vadime Zeland le but est un peu de siphonner votre énergie. La colère, la peur, l’amertume servent de nourriture à ses créatures extra dimensionnelles.

Mais au diable les élucubrations ! Quel que soit le modèle, si on fait attention au processus à notre échelle on peut vite voir les conséquences délétères d’une possession par ces idéologies polarisantes.

Bienvenue dans la résistance !

Aux problèmes virtuels situés dans un espace lointain s’ajoutent ceux qui peuvent avoir un impact direct sur notre vie, comme, par exemple, les choix faits par les gouvernements de bien des pays pour gérer la crise COVID. Peu importe votre opinion sur le sujet, on est bien d’accord que ces choix ont eu un impact très concret sur notre qualité de vie, et sur la manière dont nous avons vécu cette période peu réjouissante.

La crise est indéniable et toute la pensée positive du monde ne peut annuler comme par enchantement le carnage. Et pourtant…

Les bouddhistes distinguent de manière très claire la douleur de la souffrance. Pour eux la douleur est ce qui est là devant nous, dans notre vie, inondant nos sens, alors que la souffrance tient plus d’une attitude. On ne peut échapper à la douleur, par contre en refusant celle-ci, en nous offusquant, en nous roulant par terre, non seulement la douleur ne sera pas réduite d’un iota mais on va écoper en plus de la souffrance de la résistance.

Il n’est pas question de nier la douleur, de faire l’autruche ou le mort en attendant que ça passe pour la minimiser, il y a toujours des actes concrets à poser, des stratégies réfléchies à développer. Ce qui est source de souffrance c’est la croisade de don quichotte : sortir de notre problème personnel pour essayer de régler LE problème de tout le monde.

Pour être honnête, mon avis sur le refus de la souffrance et l’ambivalence quant à la résistance est quelque peu biaisé. Personnellement pendant longtemps j’avais tendance à lever les yeux au ciel en entendant mes collègues se plaindre. Mes collègues et les autres. Je trouvais mille raisons de nier la souffrance qui était partagée. D’où je suis maintenant, je pense que j’avais d’une certaine manière raison mais vraiment pas pour les bonnes raisons.

La parole libère, et quand on en a gros sur la patate ça fait du bien de pouvoir vider son sac et ses larmes. Cependant, pour beaucoup, la souffrance devient un thème fédérateur. Son expression n’est plus libératrice, elle devient ritournelle tournant en boucle, carte d’entrée pour le club des désabusés. Répétée à l’envie, elle est entretenue, elle est amplifiée, pire encore cette parole devient magnétique et attirera dans la vie de ceux qui la « vénèrent » de quoi pouvoir l’entretenir. Et en cela la salle des profs peut avoir des relents de secte apocalyptique.

C’est facile de juger et condamner, de se bâtir à l’inverse, de vouloir tellement s’éloigner de la symphonie des sanglots qu’on peut s’emmurer dans l’anesthésie. « La vie est comme elle est, ça ne sert à rien de se plaindre… de toute façon qu’est ce que ça va changer ? »

Il y a, toutefois, une différence de taille entre refuser de communier au pied de l’autel du dieu des gémissements et se voiler la face.

Après une longue période de déni, regarder la vérité en face devient encore plus difficile. Si on s’y risque le barrage que nous avons érigé pour nous protéger de la réalité pendant si longtemps pourrait bien lâcher. C’est un coup à se retrouver noyé sous le lac de larmes ravalées silencieusement qui pèse de l’autre côté !

Quand votre gosse pleure vous ne pouvez faire disparaitre la déception, la parole blessante, la chute, mais vous pouvez être là pour lui. Vous pouvez le prendre contre vous, le laisser pleurer ce qu’il à pleurer sans chercher à l’interrompre, manipuler ses émotions pour son bien ou reconfigurer sa vision des choses de manière plus raisonnable.

Être là, présent, aimant, attentif, reconnaissant et validant ce qu’il est dans cet instant c’est souvent suffisant pour que passe la tempête. Hurler, jurer, maugréer, sont autant de façon de résister. Vous prendre la tête avec les parents de celui qui a lésé votre progéniture peut sembler raisonnable, mais même ça, si ça n’est pas fait pour prévenir de futur abus, ça peut être un autre moulin à vent. Oui, ça peut être une quête épique idéale pour nous distraire de notre propre impuissance.

Du coup …

J’imagine qu’en cas de racket émotionnel par les médias, les collèges ou autre au travers d’un nouveau sujet polarisant, il pourrait être intéressant de rester un instant avec notre enfant intérieur. Être attentif à ce que le sujet provoque en vous. Déterminer ce qu’il nous rappelle. Après avoir exploré ces failles en nous qui viennent d’être remuées, on pourra se demander ce qui relève des moulins à vent et s’il y a des actions concrètes de notre ressort à enclencher. Une fois en règles avec votre conscience il sera sans doute temps de lâcher le sujet et de reprendre le cour de notre vie. Ce n’est pas l’affaire d’une décision et d’un effort ponctuel. Il faudra rester vigilant car le balancier va continuer de nous tenter un bon moment, en essayant de capter notre attention et surtout nos réactions.   

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