Jouer le jeu

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Durant ces deux ou trois derniers mois c’était opération couteau chez Carrefour. A chaque passage en caisse, suivant le prix du cadi, on pouvait récupérer une quantité plus ou moins grande d’étiquettes à coller sur des feuilles prévues à cet effet, pour avoir des réductions phénoménale lors d’achat de couteaux. Initialement vendu entre 40 et 50€, avec la bonne quantité d’étiquettes il n’y avait plus que 2 euros à payer par couteau.

Durant ces deux ou trois derniers mois je me suis amusé comme un petit fou. Je faisais attention au prix de mon cadi, je cherchais parmi les caissières celles qui dépassaient les cotas officiels et parmi elles les plus généreuses. Arrivé chez moi, je comptais les étiquettes collées et celles qui me manquaient pour avoir un couteau de plus. Pendant la semaine, je me répétait quelque fois de bien penser à demander mes étiquettes, au cas où, j’anticipait le moment où j’allais rafler mon gros lot. J’angoissais un peu qu’il n’y en ai plus en stock et qu’on me propose un lot de consolation décevant… oui que le système par incompétence ou malveillance me spolie de mon butin. Deux jour avant d’écouler mes étiquettes j’étais en transe, j’allais avoir mes couteaux, mes couteaux, mes couteaux.

Et puis je les ai eu, et au final une fois déballé… ce n’était plus que des couteaux… juste ça, le soufflet est retombé, et les ustensiles sont allé se perdre dans un de mes tiroirs avec tous les indispensables inutiles. Je n’étais pas réellement déçu, j’étais juste prêt à découvrir la promotion suivante, et connaissant carrefour j’était un peu triste d’avoir à attendre un an avant qu’il y ai quelque chose de réellement intéressant pour moi. En fait j’était un peu émerveillé qu’à quarante ans passés je sois capable de me laisser prendre au jeu de la sorte et que je me comporte avec la même exubérance que les gosses de la voisine.

En dehors d’un tiroir un peu plus plein de couteau pas vraiment utiles, ce petit délire s’est avéré sans conséquence, et au final a pimenté ma vie, je me suis réellement bien amusé avec ce concours.  Les promotions carrefour en fait des tonnes toute l’année mais il est rare que les propositions collent avec mes besoins et mes aspirations, mais quand ça colle j’adhère au mouvement et j’en joue le temps que va durer l’offre. Pendant cette période, ma vision du monde, ma manière de fonctionner est altérée, et aux règles du jeu habituelles qui régissent mon existence s’ajoutent celles de la promotion. Mon organisation interne est partiellement reconfigurée pour lui allouer l’énergie et l’investissement émotionnel nécessaire.

Pour moi cette petite expérience est un exemple de balancier anodin. A titre de rappel, d’après Vadim Zeland, les balanciers sont des structures énergétiques invisible mais extrêmement puissantes qui régissent nos vies. En compétition pour notre attention et notre énergie, elles proposent un domaine où concentre notre attention et un ensemble de règle. C’est une sorte de secte formelle ou pas, et tout comme celles-ci elles tirent leur force autant de l’engouement de leurs endoctrinés que de l’agressivité de leurs opposants. Il n’y a rien qui brule aussi fort et aussi beau qu’un martyre. Ces structures ont des effets dévastateurs sur notre qualité de vie, mais on ne peut dire qu’elles sont entièrement négatives, tout va dépendre notre position dans le club. Par exemple, les mass médias sont des structures fondamentalement destructrices engendrant désolation et haine dans le cœur de ceux qui les consommes mais c’est une industrie qui enrichie déjà les gens qui y travaillent et ceux qui savent les exploiter, et pour tout ceux là le bilan est loin d’être négatif.

Alors que j’écris cet article on est la veille du second tour, un moment idéal pour être en contact avec un groupe de balancier particulièrement puissants : les partis politiques. Même si encore une fois il y a une foule de gens qui savent profiter d’eux, ils sont pour moi parmi les plus puissants qui sont actifs (en ce moment). Difficile de faire plus polarisant que la politique, et avec l’effondrement d’une certaine civilité et bienséance, ça s’est fait dernièrement encore plus retranché et explosif… Bien sûr c’est à l’échelle de ma petite vie… car on n’a pas besoin d’aller bien loin géographiquement ou dans le temps pour trouver des situations bien plus tendues que dans notre hexagone le 23 avril 2022. Les élections nous squattent l’encéphale, nous amène à prendre position, à critiquer le camp adverse, voir à déshumaniser complètement cette bande de décérébré. On renforce la structure énergétique du pendule de notre choix mais aussi ceux des partis que l’on abhorre.

Les choix fait par les politiques nous affectent et il est donc tout à fait naturel d’avoir envie de réagir voire d’intervenir. Avoir son avis peut sembler important pour nous, et l’exprimer tout autant. Se dire c’est exister, clarifier, c’est se définir, c’est agir, c’est se donner une épaisseur, c’est tirer un trait entre moi et le monde, et un autre entre eux et nous, C’est signer sa carte du parti. Et puis il y a la réalité des choses, il y a les autres inscrits sur les listes électorales, les 48,7 millions de français qui ont aussi la possibilité de faire entendre leur voix. Une fois l’abstention prise en compte votre voix compte pour 0,000 0032 % des résultats. A ma connaissance pas une élection présidentielle ne s’est jouée à 1% près et encore moins à 0,000 0032%. Donc à titre individuel ma voix ne compte absolument pas, je n’ai absolument aucun impact sur l’issue de cette élection. Je le sais mais ça ne m’a pas empêché d’aller voter il y a deux semaines. Je connaissais les chiffres, mais j’ai momentanément oublié la futilité de l’exercice, j’ai voté selon mon cœur mais surtout selon les lignes de mon environnement et de mon cortège, j’ai acheté ma carte de respectabilité.

« Futile » s’insurgeraient certains, mais si tout le monde pense comme toi alors… alors… je ne suis pas responsable de ce que les autres font, non ? je suis responsable de mon vote, responsable d’un engagement, je suis responsable de tout ces moment où j’ai laissé cette histoire m’affecter émotionnellement, je suis responsable du mépris et des anathèmes jetés par mon esprit durant ces semaines, je suis responsable de la baisse de mes vibrations, des dommages dans mon corps, je suis responsable de toute la noirceur concrète que j’ai pu attirer dans ma vie par mes pensées et je suis responsable de la quantité d’énergie que j’ai pu offrir aux balanciers le rendant ainsi plus magnétiques et plus à même d’engendrer la destruction dans les cœurs et les vies de mes frères et sœurs.

Ceci dit en écrivant cet article je fais plus que me soustraire aux balanciers des partis, je viens ajouter de l’énergie au balancier de l’abstentionnisme. Je ne me retire pas exactement de la partie, je peux donner l’impression de prendre position contre le fait de voter. Je ne le fais pas avec la même force que si je criais « élection piège à con » et que je me mettais à railler ceux qui ont la « stupidité » de penser différemment de moi. Ce soustraire à l’influence d’un balancier, généralement ça se fait intérieurement et en silence. Ça se fait avec un sourire à la commissure des lèvres et un « ah ah je t’ai vu venir toi ! » à peine murmuré. Ça se fait dans l’absence. Il me semble impossible d’échapper aux balanciers, ils sont partout, mais nous devons être conscient de leur présence, de savoir quand profiter de leurs élans, et quand se mettre sur le côté pour sortir de leurs chemins.

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