L’art de la confusion

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Agé peu ou prou de vingt ans, j’ai découvert Carlos Castaneda, et j’ai avalé quelques un de ces livres. Je trouvais ça passionnant, cette histoire d’un ethnologue qui devenait au contact d’un Nagal un shaman sorcier lui aussi. Dans ce livre alors qu’il écoute son maitre à penser lui tenir des propos surprenants il est régulièrement complètement perdu. Il se fait tancer à de nombreuses reprises pour son manque d’ouverture d’esprit, emprisonné dans un carcan occidental qu’il est, et de son incapacité à se concentre sur les parties pertinentes du message.

En lisant ces histoires, j’avais impression de me retrouver en enfance et d’avoir l’occasion d’espionner les conversations des plus grands, des échanges bourrés de mots et de notions me passant à des kilomètres au-dessus de la tête. Même si je ne comprenais pas grand-chose, j’étais content d’être là, dans le secret des dieux, espérant progressivement trouver mes repères et devenir un jour futur l’un d’entre eux. Les mots me sont devenus progressivement familiers, leurs préoccupations ont fini par pénétrer dans ma sphère d’intérêt et au bout d’un certain temps j’ai fini par devenir l’un d’entre eux. Fort de cette expérience, je me suis accroché en lisant les aventures de Carlos au pays des shamans, j’étais émerveillé, on devinait derrière ses mots relativement simples un monde riche et complexe. Des mots simples mais hermétiques, et j’avais beau progresser, accumuler les heures de lectures, l’essentiel me passait au-dessus de la tête. J’avais une idée vague du sens général de la pratique magique, et absolument aucune idée de comment j’aurai pu faire pour intégrer ça dans ma vie. Durant cette période, et même plus tard, croisant d’autres lecteurs, on parlait de notre émerveillement, mais jamais réellement du sens. Ces livres étaient un trip, un rêve magique, dont la pureté se devait d’être épargnée de tout analyse critique.

Magicien ou illusionniste

Plus tard j’ai trouvé de ci de là des critiques acerbes de Castaneda et des remises en question de la légitimité de son expérience shamanique. Un affabulateur ?

D’autres affirmaient que si ce qu’il racontait n’était pas un compte rendu exact de ses expériences, il y avait beaucoup à en tirer, il parlait en métaphore, en allusions, il y avait un réel sens profond pour celui qui avait les clés de décryptage. J’avais largement préféré cette dernière interprétation, car les livres avaient résonné fort en moi jusqu’à ce que je me lasse au bout de quatre ou cinq volumes. J’étais passé à côté d’un trésor caché et puis voilà ! J’étais dans le bon club mais pas dans son cercle le plus intérieur. Cette explication résonnait d’autant plus fort qu’à l’époque au travers d’une découverte très très superficielle de la kabbale et à la lecture du livre séminal d’Annick de Souzenelle (le symbolisme du corps humain), je m’étais fait à l’idée que la bible, ce livre stupide, mal écrit avec lequel on m’avait assommé pendant les dix-sept premières années de ma vie, était en fait un coffre à trésor pour qui en avait la clé. Les abrutis qui m’avaient entouré la prenant au premier degré n’avait pas la moindre idée du véritable sens caché derrière ces mots, et moi rien qu’en sachant qu’il y en avait un me retrouvait de facto propulsé à des kilomètres au-dessus de leur tête. Ils avaient invalidé mes objections pendant toutes ces années, oh dieu que la revanche était douce ! Je me suis gavé d’interprétations de seconde main et autres spéculations par des gens qui semblaient très intelligents et du coup je me sentais un des leurs. Transcendance par osmose ?

La métaphore clé de l’inconscient

Des années après j’ai découvert l’hypnose Ericksonnienne et l’art de la métaphore. A en croire les partisans de cette approche thérapeutique, elle est capable d’incroyables miracles. Au travers d’histoires sur mesure, des histoires en apparences banales mais contenant un sens caché injecté par le thérapeute, les patients pouvaient « guérir » ou au moins dépasser certains blocages les ayant enfermés pendant des années.

La compréhension par analogie est quelque chose de remarquable chez l’homme. A un niveau conscient, mais surtout à un niveau au-delà des mots, dans les tréfonds de notre inconscient. Dire les choses clairement induit une résistance de la part du conscient, on se défend contre ces idées exogènes, ces tentatives de prise de contrôle d’une personne extérieure. Même si on a l’impression d’avoir confiance et que l’idée semble bonne, il y a une force interne qui résiste et qui peut mettre le changement en échec. Une fois la structure mentale fautive repérée le thérapeute, va concocter une histoire parallèle, une histoire où les faits du patient sont déguisés par des images chatoyantes et obnubilé par le premier degré de l’image, son côté féérique la résistance ne va pas se réveiller, par contre l’inconscient lui va comprendre le message, et accepter cette stratégie de résolution et la mettre à l’épreuve, et avec un peu de chance, le client va pouvoir se sortir de son blocage « tout seul ».

Miracle ou arnaque ?

C’est un peu une histoire de foi, des fois ça marche des fois pas. On n’a pas la moindre idée de ce qui se passe réellement en coulisse, mais à en croire les thérapeutes ayant choisi cette voie, ça fonctionne plutôt pas mal. Quel crédit apporter à cette technique en tant que telle, dur de dire, mais si j’entendais parler d’un thérapeute ayant de très bons résultats, finalement la technique employée serait secondaire dans mon désir de prendre un rendez-vous.  Beaucoup de protocoles PNL, de techniques de visualisation, et bien d’autres techniques dans d’autres styles de thérapies s’appuient sur le même principe, une métaphore pour rééduquer l’inconscient… sauf que généralement l’intention du thérapeute se fait plus transparente (moins dans un registre « à l’insu ») mais comme le client n’est plus complètement passif, on peut voir ça aussi en partie comme des exercices d’intentions focalisées et donc on pourrait dire qu’ils tirent leur force et leur efficacité d’autres sources.

Je peux donner l’impression d’être dubitatif devant les approches métaphoriques mais non disons plutôt que je suis partagé. Si je suis un peu chiffonné par l’idée que l’inconscient puisse être rééduqué grace à une petite histoire… alors qu’on en est bombardé H24, j’ai bien conscience que les catégories restrictives du mental aident à articuler efficacement une bonne partie de notre expérience, et que pour aller au-delà, quand les mots et les concepts viennent à manquer le recourt à un langage artistique, symbolique, métaphorique s’impose, et que le maniement d’un tel outil est un art en soi. Une telle approche peut raisonner pour nous, elle provoquera dans le meilleur des cas une reconnaissance et une compréhension intuitive, quelque chose d’évanescent à la lisière de notre champ de perception. Cette compréhension est un peu comme ce mot qu’on a sur la langue mais qui nous échappe encore… tant et si bien qu’au moment d’un échange/partage avec une autre personne on est empêtré dans les mêmes problèmes. C’est un peu comme essayer de manger de la soupe, armé en tout et pour tout d’un couteau.

Vivre dans sa tête ou dans son corps

En inde, à en croire Sadhguru la culture est moins basée comme elle peut être en occident sur l’accumulation de connaissances et leurs dissections que sur l’expérience. Les livres aussi brillants soient ils ne sont qu’une accumulation de mots, c’est de la parole morte qui ne peut se substituer au fait de voir, sentir et vivre la situation. Avec leur approche, tout le travail est de créer les circonstances idéales pour recevoir ces morceaux de vie, et ça, c’est difficile de le faire sans maitre. Sans personne pour vous accompagner, sans personne ayant parcouru le chemin, et qui le connaisse réellement bien. Sans personne qui vous connaisse assez, et qui sache se brancher sur vous pour savoir où vous en êtes, sans personne pour vous aider à adopter la configuration idéale et profiter au mieux de chacune des expériences se présentant et bien on est chacun, seul dans son coin, en train de se cogner la tête contre un bouquin.

L’inde c’est l’inde et l’occident c’est une autre paire de manche, à moins d’être riche et à la retraite ou de prendre certaines décisions drastiques quant à notre vie, leur approche n’est pas très praticable sous nos latitudes. Alors que faire ?

L’odyssée suit son cours

Je crois qu’il faut commencer par dédramatiser notre quête spirituelle. La vie n’est pas une course à l’illumination. Le premier arrivé en haut a gagné un bouddha en chocolat ! Beaucoup d’appelés et peu d’élus dit le proverbe mais même pour eux la vie vaut la peine d’être vécue. Ce n’est pas parce qu’on ne finit pas par l’illumination, que ce qui a été fait n’a pas de valeur. Ce n’est pas : chaque vie, c’est retour à la case départ avec une nouvelle chance d’arriver au but. L’important n’est pas la destination mais le processus, sinon, la vie spirituelle se résume comme la vie religieuse à une hypothèque de l’existence pour une chance de gagner le grand prix. Soit un bon enfant, marche bien droit, ferme là, et grâce à dieu, peut être tu auras une place à sa droite. Même si la voie spirituelle choisie peut être ardue par moment, je pense qu’elle doit faire chanter votre cœur, et si ça n’est pas le cas, soit vous êtes sourd soit vous vous êtes trompé de voie.

Par le passé j’ai pu me fourvoyer et pas qu’un peu. Est-ce que c’est regrettable, est ce que j’aurai mieux fait d’écouter les gens qui m’avaient mis en garde ? Je n’en suis pas certain. J’ai connu les transports et l’aveuglement de la foi et ça, en ce qui me concerne c’est à vivre au moins une fois. J’y ai laissé des plumes, j’en suis sorti blessé, mais après des années à faire de cette expérience un trou noir absorbant lumière et joie, j’ai fini par dépasser ça… ou du moins je me balade à une distance très raisonnable du gouffre et en dehors d’un glissement de terrain de temps à autre c’est derrière moi. Mais j’ai appris de cette expérience, j’ai grandi, je me suis nourri, construit sur un terrain rendu fertile par les larmes et le sang. Donc, non, rien de rien, non je ne regrette rien.

Une fois qu’on n’est plus obnubilé par la destination, et qu’on dédramatise les erreurs passées et potentiellement à venir, la quête devient une aventure, une exploration de territoire vaste et riches. Et de la frustration on peut glisser tranquillement vers la reconnaissance pour ce que la providence nous offre tous les jours.

Mais tu veux en venir où avec tout ça ?

L’idée derrière cet article, cachée par les circonvolutions et autres détours de mon esprit, c’était un mouvement de colère. Je suis en train de lire le second volume de Transurfing de Vadim Zeland, et je dois avouer qu’après l’enthousiasme qui m’a accompagné à la lecture du premier, c’est un peu la douche froide. Certes il y avait des parties un peu confuses aussi dans ce tome là, mais dans le second, ça rame sévère. Il tourne autour du pot, s’éloigne revient et ne résout rien. Trop souvent c’est hyper vague, noyé sous le verbiage et je n’arrive pas trop à voir comment appliquer et donc vérifier le « potentiel ».

On sent qu’il sait de quoi il parle, mais aussi qu’il est incapable de l’articuler au travers du médium choisi. Un volume pratico pratique, technique et descriptif pour parler des phénomènes au-delà des mots, au-delà des catégories communément utilisées, avec les moyens qu’il avait à l’époque… d’où je suis, donc effectivement pas avec des masses de recul, et bien c’est une grosse plantade. Ce qui est intelligible tient en peu de mot le reste c’est répétitif, inefficace, peut être mal traduit… mais j’en doute, c’est un peu confus mais pas dans le bon sens.

Depuis Castaneda, j’en ai rencontré des gens qui se proposaient de me prendre par la main pour m’amener dans des mondes pleins de promesses. Oui qui promettaient monts et merveilles et qui au final m’ont beaucoup déçu. Et du coup, glissement de terrain ! Je suis frustré de lui avoir donné ma confiance, j’ai peur que tout ça soit du vent. « Ah ah ah , vu les promesses faites, ça ne pouvait être qu’une arnaque !!! ». De plus même si j’ai des fois l’impression de m’être laissé trainé par le bout du nez par Castaneda, à d’autres moments j’ai l’impression qu’en douce les histoires du chaman extraordinaire m’ont affecté, et qui sait ? Peut-être que ses métaphores m’ont activé, et même en dehors de ça, ses livres étaient vraiment sympas à lire, ils étaient captivants. Alors que pour l’instant le volume deux de Transurfing ne m’amuse pas des masses.

Après la peur et colère, j’ai voulu voir ce qu’en pensaient les autres lecteurs sur les forums, sur les vidéos youtube etc. J’ai vu que je n’étais pas le seul dans mes remarques, et déjà, rien que ça, ça m’a fait du bien. Car il y a toujours l’angoisse d’être l’abruti qui ne comprend pas grand-chose, et qui est incapable de voir le génie dans ce qu’il lit. Toujours sur le Web j’ai trouvé d’autres lecteurs qui arrivaient à en tirer bien plus.

Visiblement peu empêtré dans leurs traumas passé (carrément résolus) ils prenaient joyeusement le tome comme il venait, qu’ils glanaient ce qui les intéressaient et laissaient le reste. Ils s’exprimaient, écoutaient les autres, comparaient leurs notes, s’échangeaient des exemples etc… Sans le poids immense de la nécessité de trouver LA bonne voie, ou même quelque chose qui résonne autant que le premier volume, sans la honte de s’être avancé et d’avoir vanté les mérites d’un truc qui finalement n’est pas parfait, ils ont pu faire une expérience radicalement différente de la mienne. Ils ont pris le temps de digérer, et surtout de jouer avec les idées, de tenter des les faire danser avec leurs expériences personnelles. Les utilisant comme autant d’hameçons ils ont continué leur vie et ont fait de belles prises. Les idées ont trouvé de beaux habits fait de cette matière merveilleuse et glissante qu’est la vie, l’expérience intime.

Comme quoi, tel un cœur esseulé passant son temps à se plaindre de ne rencontrer personne à la hauteur sur les sites, et qui à chaque fois fait vivre à ses soupirants un parcours d’obstacle digne d’American Ninja, pour être sûr d’avoir enfin la bonne personne, je crois que je n’ai pas dépassé à 100% certaines déceptions spirituelle, et qu’il me faut de temps à autre que la vie me fasse comme ça des rappels, pour passer de la mise à l’épreuve à une danse pas nécessairement des plus harmonieuse, mais joyeuse… oui tout simplement joyeuse.

Et puis on s’en fout si par moment ça s’embourbe, ça vire au charabia… je vais ralentir, lire, et voir ce qu’il en sort… peut être que Vadim n’est pas l’homme de ma vie, le gourou tant attendu, mais pour m’occuper quelques soirs… pourquoi pas !

Mouhahahah

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