Pour ceux qui aiment se faire des films

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La PNL fut mon premier contact avec une psychologie pratique et puissante. Jusque-là, ce domaine était pour moi essentiellement des histoires de gens tourmentés discutant avec Freud (ou un autre thérapeute) et abracadabra, ce dernier, par le biais d’une association d’idée étrange ou d’un coup de géni trouvait la solution, avait le bon mot ou le bon conseil et là, la personne sortait de là guérie ou au moins avec une réduction phénoménale des symptômes. Passionnant comme une histoire d’hercule poirot mais difficilement généralisable. La PNL c’est la recherche du code source derrière les séances réussies afin de créer des recettes efficaces. C’est le règne de la systématisation : repérer les contours de la situation, trouver sa catégorie, et utiliser le protocole adéquat. Ça transforme le thérapeute en technicien jusqu’à ce que les techniques soient réellement intégrées dans leur pratique comme dans leur essence, et là, l’inconscient et ses intuitions peuvent de nouveau prendre la main, et on peut retrouver une certaine légèreté et spontanéité dans la relation, les techniques s’enclenchent d’elles même.

Ce qui fera de vous un excellent praticien PNL c’est la compréhension et l’intégration des principes profonds de la discipline, plus que celle des protocoles qui en ont découlé. Ces derniers, aussi intéressant soient ils, ne sont que des épiphénomènes. Pour moi c’est un peu ce qui différencie le scientifique du scientiste, le scientifique finalement ne sait pas grand-chose, mais il a une méthode, une méthode pour tester ses idées, les valider ou au contraire les rejeter. Apprendre bêtement des tonnes de théories pourra faire de vous un prof, un évangélisateur, un médiateur, un attaché de presse mais pas un scientifique. Ces théories ne sont que des modèles imparfaits, les meilleurs qu’on puisse faire à l’aide des outils du moments. Elles seront valables pendant un temps et seront remplacées plus tard par d’autres qui colleront un peu plus près au réel. La méthode scientifique elle, pendant toutes ces évolutions et amélioration successive est restée sensiblement la même.

Une idée qui a été popularisée par la PNL (mais aussi vivement critiquée) c’est l’existence de modalité en chacun de nous pour se souvenir et penser l’information. A l’intérieur comme à l’extérieur on utilise nos cinq sens et donc ces modalités vont se répartir en catégories sensorielles VAKOG (Visuelles, Auditives, Kinesthésiques, Olfactives et Gustatives). Cette idée a été simplifiée pour donner des affirmations comme : « vous êtes des penseurs V, A ou K. A l’aide de ce test simple vous saurez dans quelle catégorie vous vous trouvez et vous pourrez donc savoir comment adapter les informations du cours pour pouvoir les mémoriser et les restituer le plus facilement possible » L’élève visuel, en imaginant les situations décrites par le professeur, en faisant des graphiques, en plaçant les dates sur une frise agrémentées de symboles et d’image va gagner incroyablement en efficacité. L’auditif, lui devra décrire toutes les images du cours en petit textes qu’il pourra mémoriser facilement et qui lui permettrons ultérieurement de reconstruire les graphiques. Par contre pour les kinesthésiques, les conseils proposés étaient généralement extrêmement pauvres et finalement d’une efficacité discutable… en fait même à bien y regarder qu’est ce que ça veut dire être kinesthésique ? se rappeler facilement des émotions, sensations, mouvements ? C’est un point qui m’a longuement chagriné et qui m’a rendu inconfortable avec un secteur de la PNL.

La lecture de deux ouvrages « pour ne plus ramer à l’école » de Chantal Wyseur et « le don d’apprendre » de Ronald D Davis en offrant des descriptions originales de certains fonctionnement ont enrichi mon découpage sensoriel de l’activité cognitive et m’on réconcilié avec le secteur bancal (pour moi) de la PNL.

Chantal Wyseur est une ancienne professeure spécialisée dans les troubles de l’apprentissage, reconvertie dans la pratique individualisée en cabinet et elle est l’auteur de trois livres sur son domaine d’expertise. Dans « Pour ne plus ramer à l’école » elle parle d’une catégorie d’élèves qui dénotent par rapport au gros du troupeau, au lieu de penser en mot, ils pensent en « images multisensorielles », terme un rien trompeur. Par cette dénomination elle fait référence à des films 3D dont ils sont les héros, autrement dit : quand ils pensent, ils se voient et se sentent au centre de l’action. En fait il est même possible que ça soit purement kinesthésique. Ils sentent ce qu’ils font et ce que l’environnement fait en retour, ils ont un sens du mouvement général (sa gestalt), ils peuvent voir sans réellement voir, comme un mot sur le bout de la langue, une conscience forte sans manifestation concrète.

Cette manière très particulière de penser va se heurter aux attentes du système scolaire. Idéalement ses élèves doivent

  1. partir de leur domaine de référence : donc de leur impression générale, ce « film » 3D (JE vis, sens, vois, entends, expérimente. Le corps est activé.)
  2. à partir de là, la décrire donc rentrer en mode symbolique / verbal (pensée abstraite et désincarnée)
  3. à partir de là, se faire des images fixes associées aux mots  

Le problème c’est qu’à l’école tout est basé sur les étapes 2 et 3 : il y a des mots et des images, et l’enfant ne peut s’engager, il ne peut se mettre au centre d’une action (non proposée), pas de possibilité de la sentir / en faire l’expérience. L’enfant est réduit à une situation passive qui sera usante : avaler et recracher des informations avec lesquelles il n’a aucun moyen de connecter.

Pour le sortir de là, la solution est simple, il faut l’entrainer à retrouver le naturel, et à rêver et vivre des situations illustrant ce qu’on lui propose. Ce qui n’est pas nécessairement évident lorsqu’on lui parle de choses abstraites comme l’économie, la justice, la divisibilité par 5, …

Ronald R Davis

Pour le reste du livre beaucoup de redite et d’emprunt au mentor de l’auteure : Ronald D Davis. Ce dernier, profondément dyslexique était considéré comme un handicapé dont on n’attendait pas grand-chose jusqu’à ce qu’une amie trouve enfin une manière adaptée de lui parler des nombres. De là, il est devenu fort en maths et a su agrandir progressivement son domaine de compétence jusqu’à devenir ingénieur. La question de la dyslexie a continué de l’interpeler profondément, et en partant de ses réactions, de ses ressentis il a progressivement fait sens de sa manière de fonctionner et à trouver des moyens de l’optimiser. De là, il a créé une méthode pour aider les dyslexiques, méthode décrite dans son premier ouvrage « le don de la dyslexie », puis il a étendu son domaine de recherche aux autres Dys et a généralisé son approche dans le « don d’apprendre » (qui reprends les points essentiels du volume précédent et les prolonges, donc n’achetez pas les deux !)

Au centre de la dyslexie il y a un problème de point de vue, l’enfant n’arrive plus à se mettre au centre de ce qu’il perçoit intérieurement comme extérieurement d’où un certain nombre d’interférences et distorsions.

Pour voir le monde nous utilisons nos yeux, qui sont bien vissés dans notre crane, pour les bouger il nous faut nous déplacer, par contre pour regarder notre monde intérieur nous avons un peu plus de latitude. Une partie non négligeable de la population est capable de déplacer la caméra intérieure et de considérer une situation imaginée sous bien des angles, c’est intégré durant les premières idées et se fait sans même y penser. Devant quelque chose d’incompréhensible, l’enfant peut se mettre à déplacer la caméra pour essayer de faire sens de ce qu’il voit devant lui, on a donc superposition d’une vision de l’œil et d’une de la caméra, pas nécessairement contrôlée, et qui peut engager une réaction corporelle. Le problème c’est quand l’élève n’est plus devant un objet 3D mais devant une page de papier et que la lecture d’un mot incompréhensible va déclencher des mouvements de caméra qui vont tout sauf l’aider à faire sens de ce qui est devant lui. Les lettres se mettent à danser, il se sent physiquement désorienté (sentiment décuplé si on lui interdit de suivre avec son petit corps le mouvement intérieur… pour ne pas faire désordre en classe)  

La méthode Davis c’est une foule de petites astuces flottant autour de la procédure de réorientation (et beaucoup de pate à modeler). L’essentiel au final est d’apprendre à reprendre le contrôle de la caméra et savoir l’amener à volonté à un endroit optimal. La procédure, relativement simple, est décrite en détail dans les deux livres de Davis, et au vu des prémisses précédemment évoquées elle fait parfaitement sens. L’idée n’est pas de bloquer la désorientation (la caméra qui n’en fait qu’à sa tête) mais à chaque fois que ça se produit en être conscient, et savoir revenir à la position optimale tout en restant détendu. Ce dernier mot est très important, car naturellement l’enfant voudra ramener la caméra de force, tout comme souvent on voit les muscles se contracter quand on lui demande de se concentrer. Il faut aider l’enfant à être conscient de son état de tension et lui donner de quoi retourner à une présence détendue. La concentration ou l’action vécue comme une lutte est épuisante, et plus on veut tenir à l’écart un élément plus il reviendra en force. Le plus simple et surtout le plus efficace est d’avoir un objectif et de revenir naturellement sur celui-ci à chaque fois qu’on se surprends à la dérive… c’est une méditation orientée… souple et souriante.

Maintenant en ce qui me concerne il n’y a plus qu’à. Il n’y a plus qu’à me trouver des volontaires et tester les procédures et mesurer les progrès sur mon échantillon, voir si ça vaut le coup de continuer et dans ce cas voir comment optimiser la procédure ou son utilisation pour mieux aider les dyslexiques. Autrement dit… il n’y a plus qu’à laisser de côté les opinions et préconceptions pour enfin utiliser cette bonne vieille méthode scientifique.

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