Pervers narcissiques, les yeux dans les yeux

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Si l’on en croit les médias et certains témoignages les pervers narcissiques sont partout. Dans un rayon de dix mètres autour de vous il y en a surement un qui est en train de s’en prendre à une victime innocente ou qui ne va pas tarder à passer à l’action. Dans la la réalité il me semble qu’ils sont comme le virus derrière les otites, on sait tous que ça existe, mais on le sait généralement de manière assez abstraite, si ce n’est pour une partie de la population qui connait bien le problème, une partie de la population qui peut en faire régulièrement, certains tous les ans voire plusieurs fois par ans. Encore plus étrange les proches de ces malades chroniques semblent, eux, passer entre les gouttes. Même s’il sont à proximité d’un vecteur actif, le virus lui garde ses distances. Ce virus comme bien d’autre ne semble pas attaquer au hasard. A mon avis si vous avez été victimes de pervers narcissique, il y a bien des chances qu’à moins que l’expérience vous ai permis de transcender, d’autres confrontations vous pendent au bout du nez. Si vous êtes du genre à passer entre les gouttes, toute cette affaire, ces histoires de gens qui, mentalement, se laissent dévorer vivant sans résister peut vous sembler étrange, voir incroyable. Même en lisant un des nombreux livres sur le sujet, le problème peut rester conceptuel et parfaitement étranger à votre réalité.

          A mon avis, faute de les avoir tous lu, il me semble que généralement, les livres sur les pervers narcissiques s’intéressent à une partie de l’équation et une partie seulement , celle du méchant, mais c’est oublier que ces relations ahurissantes ça se danse à deux. « Du plérome à la matière » d’Anton et Hannaele Parks qui présente le témoignage de deux victimes est un bon complément pour qui veux creuser la question.

Je dois avouer que la lecture de ce livre m’a donné envie de jeter ma tablette contre le mur, et pas qu’une seule fois.  Il y a cinq ans j’avais tenté la lecture du premier livre d’Anton : le secret des étoiles sombres et j’avais arrêté au bout d’une trentaine de pages. Dans ce livre il racontait une histoire remplie de vaisseaux spatiaux, d’espèces extraterrestres faisant des manipulations génétiques et de toute sorte de clichés science-fiction sauf que d’après lui cette histoire n’avait rien d’un délire futuriste mais s’est réellement passée il y a fort longtemps. Commencer un ouvrage de fiction par « attention ceci est une histoire vraie », est une grosse ficelle qui ne me choque ni ne me gêne. Que l’auteur ou le narrateur croit en la véracité de ce qu’il raconte m’importe peu, moi ce qui m’intéresse c’est la qualité de l’écriture, les personnages attachants, l’action et l’humour.

Après la lecture d’une dizaine de pages du secret des étoiles sombre, il m’a semblé évident que ce livre n’était pas fait pour moi. J’ai insisté, j’en ai parcouru une vingtaine de plus, histoire d’être sûr et j’ai jeté le livre dans un gros carton de papier à recycler. Généralement je ne suis pas masochiste. Depuis que je ne suis plus obligé de suivre de cours de français je lis ce qui me fait plaisir, et non ce qu’une autorité à décrété que je dois lire. Grands et petits auteurs sont traités de la même façon, tu me fais vibrer ou c’est direction gros carton.  

« Du plérome à la matière » est une autobiographie à quatre mains et si les extraterrestres sont évoqués, l’essentiel du livre est un drame très humain. Un drame qui a provoqué chez moi toute sorte d’émotions désagréables. Pas à cause de l’écriture, très basique qui m’a largement mieux convenu que celle utilisée dans « le secret… ». Les rares dialogues sont cités ou donnés de manière indirecte, et comme le théâtre de l’action est notre univers contemporain bien connu les descriptions sont peu nombreuses. Ce qui m’a piqué cette fois ci c’est les thèmes abordés : manipulation, pervers narcissiques, et l’aveuglement volontaire qui nous fait trahir nos valeurs et intuitions. Je trouve que ce qui est raconté ici est aussi intéressant que poignant si vous êtes sensible à ce genre de problématique, en tout cas ça l’est au début avant qu’on se retrouve confronté à des problèmes que je détaillerai plus tard. Au travers de descriptions détaillées de tortures mentales (même si elles sont décrites de manière unilatérale) on peut bien sentir ce qui se passe dans une relation avec des pervers, et aux raisons qui font qu’on accepte de vivre de telles situations. Le caractère récurrent des tribulations décrites permet de voir émerger des schémas comportementaux : les auteurs sont des victimes des pervers narcissiques croisés sur leur chemin mais sont avant tout victimes d’eux même.     

Durant l’été 2010, accompagnateur d’un voyage culturel en Amérique, j’ai eu une très mauvaise expérience relationnelle avec le guide de mon groupe. Au travers d’humiliations répétées, de mensonges et de manipulations j’en étais venu en fin de séjour à douter de moi et de ma santé mentale.

A mon retour en France deux choses m’ont aidé pour me sortir du malaise dans lequel je m’étais retrouvé plongé :

  • La découverte des pervers narcissique en tant que catégorie d’individus au travers de la lecture du livre « le harcèlement moral » de Marie-France Hirigoyen. J’ai pu voir que mon expérience n’était pas exceptionnelle et qu’elle obéissait à une certaine logique.
  • Mon premier travail d’écriture purement narratif où j’ai pu revisiter à mon rythme et avec mes mots mon expérience. J’ai pu vomir sur le papier ce que j’étais incapable de digérer. L’expérience qui me rongeait est devenu objet d’une étude et une réflexion dépassionnée.

Est-ce que c’est le fait d’avoir fait cette expérience ou d’un réel changement culturel, mais dans les mois qui ont suivis mon voyage, entre les témoignages de proches et les articles, j’ai eu l’impression que le harcèlement moral et les pervers narcissiques étaient au centre de toutes les attentions.

A mesure que la société accorde de plus en plus de place aux ressentis et aux blessures intérieures, la santé mentale est prise de plus en plus au sérieux dans la conscience populaire. Les grands méchants ne sont plus juste ces hommes battant leurs femmes, ils sont maintenant aussi ceux qui tissent autour d’elles des toiles d’araignée pour mieux les détruire mentalement et moralement. Cette vision genrée rendaient mon expérience émasculante et un peu plus humiliante mais aussi moins exceptionnelle. Je n’étais plus séparé du genre humain, mais dans un grand bateau en bonne compagnie d’autres « gentils ».

Un peu plus de deux ans après cette rencontre infortunée, lors de l’écriture du « sel de la terre » mon deuxième roman, j’avais décidé de centrer l’histoire autour d’un pervers narcissique en cours de réhabilitation. A mon avis déshumaniser le déshumanisateur, donner dans le jugement à l’emporte pièce ça va bien dans le cadre d’une courte conversation mais pas sur la durée d’un roman. Où est l’homme ou la femme derrière la figure diabolique ? J’avais envie d’apprendre à le connaitre de l’intérieur, et comprenant sa blessure fondamentale arriver à trouver le contexte et les mots pour pouvoir le soigner et faire de son histoire quelque chose de positif. Généralement je sculpte l’intériorité de mes personnages en interpolant certaines parties de mon propre mental. Et là je n’ai pas trop su comment créer un pont entre ces gens-là et ce que j’accepte de voir en moi-même.  Je n’avais pas non plus sous la main de vilain diagnostiqué et prêt à répondre à mes questions de manière candide et approfondie.

En plus de cet obstacle de taille ce qui a sapé mon projet initial fut de me rendre compte que certains camarades d’infortunes avaient tendance à accumuler ce genre d’expérience. Ils tombaient comme les Parks sur un pervers après l’autre. J’ai commencé à me demander si les victimes dans cette affaire n’avaient pas elle aussi une part de responsabilité. Difficile de dire pour les autres sans projeter et inventer, par contre, en regardant mon histoire personnelle, ce que j’avais vécu en Amérique était majeur mais ne sortait pas de nulle part. J’avais déjà vécu précédemment des versions light de cette histoire. Peut-être bien que quelque chose de dysfonctionnant en moi attirait les salopards comme une plaie ouverte sous l’eau peut attirer des requins à des centaines de mètres à la ronde.

Pour moi l’aspect médiatique de cette affaire préfigurait parfaitement ce qui allait se passer avec le mouvement « mee too ». Après une éternité passée à opérer dans les ténèbres le mal voyait braqué sur lui le projecteur de notre attention. La mécanique était exposée et la souffrance des victimes enfin reconnues. Et puis alors que les langues se délient la machine s’emballe. Les gentilles victimes d’un côté, les vilains pervers de l’autre et le public par la vertu de son regard compatissant et offusqué peut se prendre pour un sauveur. Tout le monde veut sa part du gâteau au buffet à volonté de la victimisation. Les accusations fusent à tort et à travers. Comme « fachiste » en son temps et « masculinité toxique » plus récemment, « pervers narcissique » fut pendant quelques années l’insulte à la mode.

Là où l’on aurait pu avoir une occasion de réfléchir et de grandir ensemble, là où on aurait pu trouver de la nuance… on a préféré se vautrer dans un des jeux préférés de l’humanité : la purge, un véritable délire paranoïaque, où l’on vocifère à qui mieux mieux pour bien montrer à tout le monde qu’on n’a pas une once de sympathie pour le bouc émissaire du moment.

Bouc émissaire ? Choquant non ? ça sonne un peu comme si je cherchais à disculper tous ces gens derrière ces actes dégoutants. C’est un peu insultant pour toutes les victimes d’harcèlement moral ou sexuel. A mon avis les actes de ces « pervers » sont répréhensibles et il est important qu’un cadre juridique existe avec des peines adaptées pour punir, et qu’ils puissent expier et passer à autre chose. Ils ne sont pas le mal, ce sont des malades… tout comme leurs victimes.

Quoi ???? mais c’est encore pire ! maintenant c’est aux victimes d’en prendre plein la tête … une deuxième fois. Traiter les victimes de malades c’est vraiment moche. Après… il y a une différence entre une grippe et un cancer, toutes les maladies ne sont pas égales. Peut-être qu’une autre métaphore aurait été plus adaptée. J’aurai peut-être du parler de failles de personnalité. Quand on voit que certaines « victimes » ont tendance à collectionner les situations d’harcèlement moral, qu’elles passent des griffes d’un prédateur à celle d’un autre (sans collusion aucune entre les deux vilains), on peut se demander ce qui se cache derrière ce phénomène. Pas pour blâmer ou diminuer la victime et sa souffrance, au contraire, pour mieux la comprendre et l’aider à lui éviter de s’attirer ces situations horribles.

Il faudra avant tout opérer avec nuance, certaines personnes ne seront jamais embêtées de leur vie, elles ont un système de défense et une confiance en leur valeur qui tiennent les prédateurs à bonne distance, certaines personnes traversent une mauvaise phase et leur système « immunitaire » déjà un peu limite flanche et ils vont s’attirer un prédateur. D’autres ont été tellement traumatisé durant l’enfance qu’ils avancent à grand peine dans le monde, couverts de plaies sanguinolentes et tous les salopards, pervers, voleur et violeurs dans un rayon de dix kilomètres vont accourir et devoir jouer des coudes pour mettre leurs griffes sur ce cadeau du ciel.

A travers ces dernières images je suis tombé dans le travers de présenter les « bourreaux » de manière déshumanisantes. Les voilà mal incarné, séparé du reste du monde, et ne peuvent connaitre de fin acceptable que dans les flammes de l’enfer. Ce n’est pas un positionnement idéal pour engager le dialogue avec ces bourreaux des fois cachés au plus profond de notre être. Des parties de nous qui sont tenu en laisse par notre éducation et le contexte social mais qui œuvrent tout de même aussi tranquillement que discrètement en arrière-plan. Qui n’a jamais menti, pour avoir la paix, couvrir ses arrières ou autre chose ? Qui n’a jamais jugé ouvertement ? Qui n’a jamais haussé le ton ou au contraire s’est fait froid et distant ?Qui n’a jamais eu l’impression de mieux savoir pour l’autre ce qui était bon pour lui ? Qui n’a jamais poussé l’autre à se conformer à cette idée d’une manière ou d’une autre ? Qui n’a jamais rêvé de faire du mal à une personne qui « le méritait » ? Pour ma part je suis persuadé que ce qui se cache derrière le portrait-robot du pervers narcissique ce sont des traits sommes toutes très humains, qu’on peut trouver chez des gens tout à fait normaux et respectables ici et là mais chez les pervers ils sont concentrés et peut être plus intenses. Il n’y a pas d’école de la perversion, celle-ci apparait semble-t-il de manière spontanée dans des milieux qui en sont apparemment dépourvu, étrange non ?

Dans le livre « Du plérome à la matière » les futurs époux Parks, dans leurs trajectoires parallèles se retrouvent embarqué dans pas moins de cinq relations abusives dont une partagée (dont quatre avec des femmes : une tutrice à peine mentionnée à la fin et avant ça de manière bien plus détaillée une dépressive, une bipolaire et une folle/ psychopathe mais comme le diagnostic médical n’est pas partagé ici on se contentera de l’appellation colloquiale « super connasse »). Le seul homme du lot, Sébastien, lui est le pire d’entre tous, celui qui semble le plus conscient et assumé dans ses comportements déviants et néfastes. Je ne sais pas s’il y a une case du portrait type du pervers narcissique qu’il ne coche pas.

Cinq ça fait beaucoup, non ? Simple coïncidence ?

Tous les deux avant leurs premières relations maudites étaient plombés par une faible estime d’eux même. Ce sont des rêveurs, qui acceptent du bout des lèvres le fait d’être des êtres humains incarnés sur terre (comment défendre un territoire que l’on n’occupe pas vraiment ?). Puis une fois en couple, ils ont tendance à laisser leur partenaires prendre la barre, et se retrouvent invariablement au service du bonheur de ces derniers. Devant des insultes et autre comportement rabaissant, incapables de colère, plutôt que de se défendre eux, leurs besoins et leur honneur, ils se plient et se soumettent aux diktats et exigences de leur partenaire. Ils acceptent les pires des injures en se disant que ça va passer, ça va s’arranger, que s’ils s’effacent assez l’autre va arrêter. Devant des comportements ignobles ils se sentent responsable, c’est eux qui ont provoqué, qui n’ont pas été assez je ne sais quoi… ils se sentent responsable de l’autre… Autre traits particulièrement important c’est une incapacité impressionnante à retenir la moindre leçon de ce qu’ils viennent de vivre, au contraire on a l’impression qu’ils font de la surenchère. Par exemple ils sont tous les deux témoins d’actions horribles commises par leurs partenaires respectifs sur des tierces personnes, et plutôt que de prendre la tangente ils vont non seulement continuer leur relations mais donner encore un peu plus de pouvoir sur leur vie à ces derniers.

Dans n’importe quelle relation chacun protège ses frontières et teste celles de l’autre généralement sans violence ni malveillance. On a besoin de savoir qu’on a une personne solide en face de nous. Avec un codépendant « typique » quand on avance d’un pas vers lui, ce dernier recule d’autant. Il y a un refus catégorique de prendre la moindre responsabilité pour son propre bien être et ses propres frontières. Et si conseillé et coachés par des amis ils finissent par dire « non », c’est un « non » faible, un « non » pour lequel ils ne sentent aucune légitimité, et donc qui résonnera comme une provocation ou un défi pour la personne en face, qui transgressera sans aucune conséquence la pseudo prise de position.

La codépendance est un problème de personnalité très répandu, et donc les pervers narcissiques vont pouvoir passer d’une personne présentant ce trait à la suivante sans avoir à chercher bien longtemps et les exploser les unes après les autres. Je ne sais pas s’il y a volonté de prédation consciente, j’en doute. J’ai l’impression que pour eux, souvent, s’ils blessent c’est qu’ils sont, dans leur petit monde perso, tout bonnement énervé au plus haut point par cette personne rampant devant eux, qui refuse de les arrêter, de leur dire stop, de les mettre au pas (à mon avis c’est une chose à laquelle ils aspirent très fortement à un niveau inconscient). Si je la pousse assez elle va bien finir par réagir, non ? Je ne vais pas avoir à la tuer pour qu’elle se réveille et dise stop, quand même ?

Il y a beaucoup de narcissisme dans cette description mais pas trop de perversion. Être une force de la nature que rien ne peut arrêter, ce n’est pas vraiment déviant. La perversion vient dans cette incapacité à lâcher d’un côté comme de l’autre. Il y a une maladie d’amour. Malgré la haine, le mépris, le désespoir et la souffrance, au grand dam des amis, de la famille et des témoins de ces interactions atroces, ce couple maudit n’arrive pas à se séparer, il y a une force d’attraction qui les renvois l’un contre l’autre. Au nom de l’amour ou d’un étrange sens d’obligation d’un côté et de possessivité/jalousie de l’autre ils remettent le couvert encore et encore.

C’est irrationnel des deux côtés mais pour la victime ça défie l’entendement. Ça déroute les derniers amis fidèles et les éloignera petit à petit. Tout le monde voit ce qui se passe, sauf la victime et même quand elle daigne ouvrir les yeux c’est pour les fermer aussitôt pour se lancer dans un « mais tu comprends je l’aime… mais tu comprends je ne peux le laisser comme ça…. Je ne peux pas l’abandonner, surtout maintenant… » c’est de la folie à deux. La victime vous embarque dans ses histoires folles vous fait vivre en détails ses menues humiliations mais « chut ! » il ne te faut rien dire, « de toute façon tu ne peux comprendre ! » Très souvent on a l’impression d’être en face de personnes qui aiment se plaindre, et qui ne trouvent de valeur que dans le martyr. Elles croient n’avoir rien d’autre à offrir au monde que leur sang et leurs larmes. Leur bourreau est leur sauveur, en les crucifiant, il est le seul à pouvoir leur permettre d’accéder à leur dimension supérieure.

« Du plérome à la matière » offre le spectacle formidable de clou pénétrant la chair en gros plan et au ralenti. Ce livre c’est un snuff book, où on peut lire à de nombreuses reprises quasiment dans la même phrase des choses comme : « ma femme dépense une énergie colossale pour me nuire, elle a fait mille allusions qu’elle était capable de m’empoisonner, mais comme elle est triste poussé par « ma bonté d’âme » je l’invite à rester chez ma mère. »

Alors quoi ? C’est l’histoire de deux abrutis finis, des plus grosses bananes du siècle ?

          Je me suis interrogé quant à la colère qui me traversait alors que je parcourais leur chemin de croix. Pour avoir vécu « 30 secondes » de harcèlement durant l’été 2010 je savais bien à quel point il est difficile de penser clairement et agir toujours de manière censée quand on est confronté aux pervers alors pourquoi cette absence de compassion, et finalement une émotion si proche de la haine ?

30 secondes un peu compliquées

Réponse rapide : il y a eu comme un phénomène de résonnance avec mes 30 secondes mais aussi d’autres évènement « mineurs ». Je me suis identifié en lisant le livre, j’ai souffert, mais surtout ça a déclenché quelque chose que j’avais occulté jusqu’ici : à quel point on peut se détester après coup. Quand on nous fait une saloperie, on est des fois moins détruit par ce qui vient de nous arriver que par le jugement qu’on porte sur nous même : comment a-t-on fait pour accepter d’être traité de la sorte ? On est con ou quoi ? Pire encore, on peut commencer à se dire que si on a été malmené ainsi, c’est que quelque part on a dû le mériter. « S’il m’a traité comme une merde c’est que quelque part je dois en être une. »  

Je pense qu’après un trauma il est important de tirer des leçons de ce qui s’est passé sinon l’expérience fait rapidement de vous une victime : un pauvre innocent, impuissant, proie des méchant, dépendant des sauveurs. L’idée n’est pas de chercher une faute en nous mais de voir nos fragilités et les stratégies à mettre en place pour les compenser et se prémunir d’une nouvelle occurrence du trauma. Il m’a fallu du temps avant de reconnaitre mes tendances à la codépendance. Combien de fois me suis-je effacé devant l’autre dans mes relations ? Je pensais le faire par gentillesse, prévenance sans me rendre compte des faiblesses escamotées derrière ces « qualités ». J’était déconnecté de mes besoins, intellectuellement et physiquement incapable de trouver et faire entendre ma voix.

Quand vous cherchez vos manques et faiblesse, il faut le faire de manière objective et détachée. Souvent une certaine tendance à l’autoflagellation s’exprime. Cette recherche vire à l’auto-humiliation, ce qui au final fait plus de mal que de bien. On est dans l’esprit de l’analyse et non du jugement.

Mes tendances à la codépendance étaient tellement profondément ancrées que pendant longtemps, en compagnie, j’ai été incapable de ressentir ce qui était important pour moi. Ma seule stratégie pour y voir clair, c’était de m’isoler assez longtemps pour pouvoir me retrouver. Mais même là, au moment de les exprimer devant l’être aimé (amis et plus si affinité), ça bloquait. Ça perdait tout sentiment d’urgence, je remettait ça à plus tard, et finissait régulièrement par enterrer ça quelque part. C’était pire qu’avant, car je savais quel était mon besoin, et un mécanisme me faisait me mentir à moi même, et nier ce que je savais être vrai. Les besoins n’étant pas respecté, ça m’abimait dans une zone que j’occultait. Jusqu’au moment où ça finissait par déborder et là je passais du tout au rien, et après avoir accepté n’importe quoi, un fossé infranchissable se creusait en une minute et la relation, comme les sentiments qui la portaient mouraient instantanément. L’ami « qui déborde » devenait en un claquement de doigt, l’ennemi qui abuse, alors qu’objectivement la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase n’était souvent que ça, une goutte d’eau, une offense mineure. De paillasson je me faisait porc-et-pic, sans jamais passer par la case adulte raisonnable et mesuré.

Prendre conscience d’un tel comportement c’est égratigner sérieusement son image de soi. Je n’était plus celui qui avait éjecté une conne ou un manipulateur de ma vie, mais celui qui refusant de prendre ses responsabilités pour ses propres limites et ses besoins, explosait son ami sans avertissement parce que celui-ci s’est autorisé à faire ce qu’il ne lui avais jamais interdit. Aïe ! C’est désagréable mais nécessaire pour pouvoir aller de l’avant et commencer à régler le problème en apprenant à connecter avec mes besoins en toutes circonstances et en apprenant à les exprimer dans la sérénité. Ce chemin n’a pas été très facile ni agréable mais au moins, j’ai eu la chance de ne jamais adhérer à la croyance qui occulte toute la problématique selon laquelle dans le couple, ou en amitié si on est compatible, c’est qu’on est capable de deviner ce qui est bon pour l’autre, autrement dit on est responsable du bien être de l’être aimé. Dit comme ça, l’absurdité est palpable, mais souvent la formulation est telle que le côté dément de cette croyance peu être lui aussi dissimulé.

Généralement pour aider mes consultant à voir la situation pour ce qu’elle est je leur fais faire un petit exercice de pensée : « Imaginez que ce que vous vivez, ça arrive à votre enfant, ou à votre meilleure amie. » Tout d’un coup les voilà traversé d’un nouveau souffle, il y a du feu dans leur regard. Ce qu’ils avaient subis avec indifférence, est de l’ordre de l’intolérable quand ça arrive à celui/celle qu’ils aiment. C’est incroyable de voir à quel point c’est dur d’avoir pour soi-même le respect et la bienveillance qu’on peut avoir pour les autres ! Et pour ce qui est de l’autoflagellation et de la culpabilité qu’on peu ressentir en réalisant la quantité de choses qu’on a accepté de subir, le principe reste le même. Est-ce que tu tolèrerais trente seconde qu’on dise à ton gosse, « bien fait pour toi, tu l’as bien cherché! » (un des crédo de la pédagogie noire, décriée par Alice Miller. Avoir subi une telle éducation est une voie royale pour toute sorte d’abus pendant le reste de sa vie.

sans doute le livre le plus important de ceux qui ont été cités dans l’article

Au-delà de la prise de conscience, pour les motiver à faire les changements nécessaires, je leur demande d’étendre l’exercice. Imagine que ce n’est plus une amie ou un enfant mais le petit garçon ou la petite fille que tu étais, et qui vit encore en toi. Quand tu « te laisses faire » de quel côté te ranges-tu ? du côté de l’enfant ou de son tortionnaire ?  

Je trouve ça formidable de pouvoir vivre mille vies au travers de romans ou de films. On peut lire des fictions bien sympathiques où les gentils gagnent à la fin. Ces derniers comme nous-même par le jeu de l’identification pouvons après avoir vécu quelques tribulations obtenir ce dont nous avons toujours rêvé . On n’a pas appris grand-chose sur nous même et sur le monde mais on a passé un bon moment. Pour moi « du plérome à la matière » ça été tout le contraire. J’ai vécu trois très mauvais jours à le lire, mais ça m’a travaillé, ça m’a fait réfléchir, et grandir en quelque sorte. Ça, c’est un cadeau rare, mais je ne sais pas si c’est un cadeau que je recommanderai.

En fait si, c’est un cadeau empoisonné mais je le recommande du moment qu’il est accompagné de reflexions, et de remises en questions. Sans doute que la vérité n’a pas le meilleur des gouts, et que l’idée d’avoir une part de responsabilité dans les horreurs qui nous tombent sur le coin du nez peut sembler insupportable. Et je ne suis surtout pas en train de mettre sur un pied d’égalité le pervers et sa victime, ni d’excuser le harcèlement moral. L’idée c’est de trouver les failles et de commencer le travail de reconstruction, celle pour se retaper après la confrontation avec les vilains malfaisants mais aussi celle qui est nécessaire pour trouver ou retrouver une bonne estime de soi et des frontières fermes.

Pour ce qui est de ceux qui ont su, jusqu’ici, éviter les pervers narcissiques et leurs méfaits, le livre reste intéressant et les aidera à comprendre ce qui peut se jouer dans la vie de certains de leurs proches. Ils auront sans doute plus de compassion pour eux en relativisant les comportements aberrants surtout après avoir supporté les déboires des deux couillons de compétitions qui ont écrit le livre.