Au royaume des aveugles

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Mais un voyant… ça voit quoi ?

l’article, intégralement lu par son auteur

Voir au-delà de la surface, est un rêve que je nourris depuis plusieurs décennies. Après une enfance gavée de gros volumes de « Strange » de chez Marvel, une adolescence passée sous le signe de la science-fiction, alors que mon monde romanesque s’est fait de plus en plus réaliste, mes lectures sérieuses, elles, se sont orientées de la psychologie vers la spiritualité, l’occultisme et le New Age. Je n’avais pas de super pouvoir, je n’étais pas Thor ni spider man, mais il y avait peut être un espoir. Certaines capacités latentes pouvaient encore être réveillées. Je ne pouvais pas envoyer de boules de feu comme ken et ryu ou San Goku mais je pouvais transmettre une énergie douce et harmonisante à travers les paumes de mes mains. Je ne pouvais pas voir à travers les murs comme Superman, mais peut-être, oui peut être qu’avec les bons exercices je pourrais voir les auras, les esprits et le futur.

Après la lecture de classiques de l’ésotérisme présentant une vision assez monolithique des mondes subtils, il n’y avait pas de place dans mon esprit pour les nuances. Ce qui dérogeait de cette vision n’était ni fiable ni digne d’intérêt. Ce jugement à l’emporte-pièce m’a coûté cher car il m’a fait ignorer le développement de certaines capacités et manquer de respect pour ma sensibilité. Il m’a fallu du temps avant de comprendre que s’il y a un monde où la subjectivité et la diversité sont reines c’est bien celui de la perception de l’invisible.

Paradoxalement, avec du recul, les mondes subtils m’apparaissent maintenant comme un souk pas possible. Dans l’espace vide devant nous, indiscernables pour nos sens mais pas pour nos appareils électroniques, nous avons les ondes radio, TV, WiFi, blue tooth, satellites etc. Dans l’éther, c’est la même chose puissance mille, tant et si bien qu’à moins de choisir proprement un canal spécifique, les informations se chevauchent toutes pour donner une bouillie incompréhensible. D’ailleurs, ça fait partie des clichés qu’on peut trouver dans certains écrits ou dans les films : la personne ouvre inopinément les portes de ses perceptions et se retrouve vite fait à deux doigts de la folie, désorientée qu’elle est par la déferlante d’informations souvent peu plaisantes qui s’engouffre. De telles histoires sont plus impressionnant que « ce matin en ouvrant un livre au hasard, mon regard s’est posé sur la ligne répondant exactement à la question que je me posais hier. » qui est sans doute le moyen de captation le répandu. Et oui, ingénieurs, artistes, chômeurs on reçoit tous des informations au travers de moyens de communications très étranges, et ça c’est sans compter le nombre incommensurable de fois où on a eu un feeling que l’on s’est plu à ignorer.

Pour revenir à l’avalanche ingérable et incompréhensible d’informations chez le voyant débutant, dans les faits heureusement ça ne se passe pas comme ça. L’inconscient de la personne qui capte choisit de lui-même une fréquence, un angle d’attaque, et y reste jusqu’à l’arrivé d’un élément déclencheur ou d’une décision consciente. Comment ? Tout simplement, en se posant une nouvelle question. Faire cela revient à concentrer notre petite lumière vacillante et de la faire éclairer une zone susceptible de nous offrir des réponses pertinentes.

Poser une question, oui, mais pas n’importe comment. Tout ce qui passe par le langage est chargé de présupposés, qui varient grandement d’une personne à l’autre. Une question comme : « est ce que monsieur X est fait pour madame Y ? » est très vagues. Qu’est-ce que ça veut dire « être fait pour » ? Personnellement, je suis d’avis que le futur s’écrit à chaque instant mais que parmi le foisonnement des chemins possibles, il y a des nœuds à forte probabilités. Cette certitude rend la question caduque, mais bon, juste pour l’exemple, imaginons que le futur soit écrit. Est-ce qu’un mois d’un bonheur formidable suivi par une mort brutale et soudaine est mieux qu’une relation tiède et durable ? Est-ce qu’une personne qui va vous confronter douloureusement à vos limites et vous obliger à sortir de vos habitudes est moins intéressantes qu’une qui va vous conforter dans vos travers les plus médiocres ? Qu’elle est l’échelle de temps ? Même le pire des cons peut être transformé en un engrais des plus fertiles, donc si madame Y est branchée jardinage, quel homme ne ferait pas l’affaire ?

Ma manière de pratiquer ce qu’on pourrait appeler de la voyance est la suivante. A froid, le contact avec les autres niveaux, quand je suis dans l’attente et le questionnement, ça se fait essentiellement au travers du corps qui me donne des indications binaires oui/non, vrai/faux. Je peux aussi avoir des images ou des mots qui me viennent mais c’est généralement au compte-goutte. Mon impression c’est que dans ces moments mon cerveau analytique, entrave plus qu’il n’aide le processus. L’envie d’avoir raison (de ne pas être pris en défaut), d’être compréhensible et dans une certaine mesure dire ce que l’autre à envie d’entendre se mettent clairement en travers de la captation.

Dans le cadre de lecture akashique, par contre, travaillant les yeux fermés, souvent, une transe légère me saisit et je peux alors avoir un enchainement d’idée, d’images et de sensations. Un mot en appelle un autre, et du moment que je ne m’entrave pas, le jaïssement peut continuer jusqu’à l’épuisement du sujet. J’ai dans ces occasions souvent une présentation plus ouverte, plus métaphorique et s’appuyant sur des symboles ne me parlant pas nécessairement. De temps en temps je me sens un peu gêné par ce qui vient. Raconter « par rapport à la raison pour laquelle vous pleurez sans arrêts, mon ressenti est le suivant : j’ai une sensation de chaleur dans le haut du dos et je vois un clown qui cour de gauche à droite. » ça ne fait pas très sérieux. Je me retrouve souvent tenté de garder certains détails pour moi, mais il ne faut pas, souvent la personne est touchée par le symbole bizarre, parce que pour elle, et pour elle seulement, il a du sens. Le message reçu était pour cette personne dans son langage. D’autre fois, la vision est aussi incompréhensible pour moi que le consultant.

Quelque part, les visions métaphoriques ça fait sens, on ne vit pas dans un monde objectif, dans le tangible et le définitif. On vit dans un monde d’histoires, d’interprétations, une sorte de rêve plus ou moins éveillé. En dehors du peu qu’on retient de ce que l’on perçoit, on hallucine des raisons derrière les actions des acteurs de l’épisode du jour, on invente du sens, tant et si bien que deux personnes partageant un même moment raconteront souvent des histoires bien différentes. On est chacun dans son propre monde, mais en fait c’est pire que ça. Aujourd’hui, on se raconte les évènements du moment d’une certaine manière et demain, alors nos circonstances et nos humeurs auront changées. Notre passé et ses péripéties prenant un sens nouveau, des fois c’est une toute autre histoire que l’on va se raconter.

On peut capter des choses émanant d’une personne, mais généralement sans s’en rendre compte ou poussé par l’envie de prendre de la hauteur on va commencer à tirer notre information d’ailleurs. Lors de tentatives de médiumnité on pose nos questions généralement à des guides (les nôtres, les leurs), des anges, au moi supérieur, mais peut-on être vraiment sûr de l’identité de ce qui nous répond ? Sans rigueur et hygiène ésotérique, nos communications peuvent souffrir d’interférences sans que nous n’en ayons la moindre idée. Si dans une tentative de communication avec un défunt, des questions de vérification peuvent permettre d’éliminer les médiums les moins compétents et les entités les moins douées dans le domaine de la tromperie, ces interrogations n’éliminent pas toutes celles qui sont capable de trouver à travers l’espace et le temps la réponse recherchée.

Ce qu’un voyant, médium et autre peut capter parle souvent plus de lui-même et du formatage de sa conscience, que de l’objet de ses perceptions. Les mondes subtils, même limités à l’aide d’une question pertinente n’ont rien d’une réalité figée sur laquelle tous les voyants peuvent se mettre d’accord. Ces derniers surtout quand ils débutent, sont comme doté d’une radio pouvant se brancher sur une des nombreuses stations de la bande FM du pays de leur enfance, un pays dont ils ont maintenant oublié l’essentiel de la langue. En se basant sur le ton employé et sur les quelques mots qu’ils connaissent, ils vont se faire une idée souvent grossière de ce qui est en train de se jouer dans l’émission captée. Quand une image s’impose à eux, elle est une pure production de leur inconscient, qui interprète en pilote automatique les quelques détails qui font sens. Captant l’information « ange », ils vont voir une idée très personnelle du messager divin, peut être un chérubin boudiné comme dans les tableaux de la renaissance, une forme ailée éblouissante, ou je ne sais quoi d’autre. Cette information « ange » peut potentiellement correspondre à une réalité objective captée mais aussi à un message émis par l’entité avec qui l’on communique, entité qui est rarement un ange. S’ils ne sont pas crédules et savent poser les bonnes questions les voyants finiront alors confrontés à des visions peu ragoutantes : démons cornus, ectoplasmes, extraterrestre à tête de lézard, ça dépendra de leur « culture ».    

Personnellement, je me sens en porte-à-faux avec une bonne partie des voyants pour ce qui est de la communication avec les défunts. Pour moi, soit ces derniers sont montés dans la lumière et sont donc passé à autre chose, soit ils sont encore dans le coin, bloqué par un problème… littéralement bloqué, un peu comme s’ils étaient en pause. Généralement dans ce cas ils ne savent pas du tout qu’ils sont morts et sont comme des cons en train de tourner en rond sans pouvoir changer quoi que ce soit à leur situation. La communication avec eux est très basique, ils n’ont rien d’autre en tête que leur problème. Une fois celui-ci débloqué, ils sont généralement contents de pouvoir partir. En dehors de banalités affligeantes comme « je t’aime » ou « je regrettes » jamais ils ne m’ont raconté quoi que ce soit d’intelligent ou ont eu des messages profonds et réellement aidant pour les gens qu’ils ont laissé derrière (genre « il y a un trésor dans le jardin » ou « ta carte bleue est tombée derrière le meuble », …).

De toute façon, je ne suis pas médium, si je rentre en contact avec les morts c’est toujours pour faire stopper un parasitage, et les envoyer dans la lumière. J’arrive donc avec un sacré conditionnement, certaines croyances, ou plus exactement certains préjugés que je me suis plu à confirmer encore et encore. Des préjugés comme « intellectuellement, les gens, sont juste bons à brasser du vent, alors pour les morts j’ose même pas imaginer ! »

Même si une partie de la communauté ésotérique me rejoint dans ma vision des âmes bloquées, cette situation en dit long. C’est en fait un parfait exemple de la pollution de l’information subtile par le canal qui la transmet. Si dans la vie, « la vraie », on a des fois tendance à voir que ce qu’on a envie de voir, ce phénomène se retrouve décuplé dans les mondes subtils, et là on a rarement l’occasion de toucher du doigt notre erreur. Même les pollutions, les possessions et autres phénomènes les plus violents ressemblent de l’extérieur plus à une mauvaise grippe (et oui, effectivement, des fois à pire) qu’à une scène de l’exorciste.

Mes visions ne sont pas une expression de mes croyances mais elles sont grandement limitées par celles-ci. A mon avis, plus une personne est rigide face à la vie, persuadée de tout savoir sur tout, plus elle va polluer et imprimer sa personnalité dans ce qu’elle va capter. A contrario, plus une personne fait du travail personnel pour dénicher toutes ses œillères, préjugés et mensonges qu’elle peut se raconter pour faire sens de ce qu’elle vit et tenir ses angoisses existentielles à distance, plus elle va permettre une canalisation claire. Plus elle va élargir son vocabulaire et sa culture, plus elle va s’ouvrir à des problématiques sortant de son précarré, et pourra être en mesure de capter finement l’information. Une canalisation c’est une traduction, c’est une interprétation, qui demande du savoir faire mais surtout du savoir être.

De tout ce qui précède vous pouvez imaginer que je suis plutôt sceptique quant au channeling. Avec le new age, il y a une quantité hallucinante de livres qui sont censé être des transmissions d’être supérieurement évolués : Jésus pour « un cours en miracle », Kryeon pour la série du même nom, les pléäidiens pour « les messagers de l’aube », les cassiopéens pour « la vague », etc… Ce procédé (channeling) et les livres qui en ont résulté ont eu un impact considérable sur la nouvelle spiritualité, mais ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Une bonne partie de la Bible, du Coran ou du livre des mormons est supposée être un compte rendu de communication entre des prophètes et Dieu (tant qu’à faire !) par le truchement de ses messagers : les anges. Avec qui ces hommes étaient-ils réellement en communication ? A quel point les personnalités des prophètes/channels, et leur contexte socio culturel ont altéré ce qu’ils ont reçu ? Il y a aussi la question des coupes et changements des textes originaux à des fins politiques, mais ça c’est un autre débat. Personnellement je trouve que ces ouvrages sont intéressants pour lancer certaines conversations mais de là à les prendre au pied de la lettre…

Pour ma conclusion j’aurai bien aimé écrire quelque chose en miroir de l’introduction. Quelque chose comme « me connecter au monde des esprits m’a aidé à mieux comprendre et surtout mieux apprécier la vie la vraie ». C’eut été satisfaisant à lire, un article comme un cadeau de noël avec un beau ruban rose tout autour. L’utilisation de l’intuition et la captation d’information provenant de plans subtils est intéressante pour le travail ésotérico-thérapeutique, ça donne de la perspective, ça permet de mieux comprendre certains phénomènes très concrets mais ça ne m’a pas guéri d’une relation assez conflictuelle avec la vie en vrai. J’ai l’impression que derrière la porte, il y en a une autre et que derrière celle-ci une autre encore. Quand on est peu satisfait de là où l’on est, on trouve toujours dans le voisinage un au-delà un autre pré ou l’herbe est encore plus verte. A force de trainer dans le milieu spirite/spirituel on finit par s’ouvrir à des idées de plus en plus folles et du coup celle-ci trouvent leur chemin dans les visions à venir. Les anges et les démons finissent par laisser la place aux reptiliens et aux conspirations multimillénaires pour asservir la race humaine à grand renfort de religions bidons et de manipulation historique. Tu avais envie de t’évader et de te sentir cool et puissant et finalement tu te retrouves prisonnier d’une histoire qui n’est pas sans rappeler les délires du fondateur de l’église de scientologie. Tu te dis que tu as dû connecter à une entité farceuse mais tu creuses et tu ne trouves pas de contradiction. Le virus mental a pris racine, et ta réalité a été reconfigurée. La folie ce n’est pas nécessairement un type au regard hagard qui parle tout seul dans la rue, la folie c’est de nourrir une pensée juste pour s’amuser, lui tourner le dos trois minutes, et revenir à elle pour la voir métamorphosée en un truc faisant deux fois ta taille essayant de t’attraper pour te bouffer la tête.

Ou là là, c’est bien sombre comme fin d’article. Rembobinons tout ça.

J’ai l’immense chance d’avoir un job à côté de mes activités ésotériques, un job avec une foule de gosses pleins de vie. Un job qui t’oblige à être présent dans l’ici et le maintenant. Sinon entre l’écriture des romans, et mes petites aventures ésotériques ça serait très facile de perdre pied. Les idées ne sont pas juste des idées. Aux centres de nos pensées elles peuvent devenir l’alpha et l’oméga de notre champ de conscience, notre réalité subjective. On peut finir par les prendre très aux sérieux alors qu’elles ne sont que des métaphores, des représentations, des simplifications. Assoiffés de liberté et d’évasion on pourrait se retrouver projeté dans une parodie de monde subtil, un parc d’attractions fabriqué de nos idées brisées. Nous pourrions devenir comme ces morts incapables d’aller vers la lumière, incapable de voir que nous tournons en rond depuis quelques éternités. Nous sommes des êtres de chairs, et s’il peut être intéressant de regarder, à travers le trou de la serrure, le monde du grand dehors, il nous faut nous répéter encore et encore qu’aujourd’hui, c’est aujourd’hui et demain, c’est demain. Aujourd’hui, la vie n’est pas ailleurs, aujourd’hui, elle est ici. Et au pire du pire, si les sirènes finissent par avoir raison de notre méfiance et notre approche pragmatique, gardons en tête que pour naviguer le long des falaises escarpées qui bordent d’un côté la petitesse des esprit étriqués et de l’autre l’abime d’une folie tournant furieusement en rond, il nous faut rester ancré, il nous faut vivre, et nous cultiver, il nous faut élargir notre monde et affiner notre pensée.