Peak mind

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Si on regarde autour de nous comme dans notre intimité on peut avoir l’impression qu’il y a en ce moment une crise de l’attention. En dehors de quelques exceptions il est difficile de rester concentré sur ce que les autres peuvent nous raconter, on est toujours un peu ailleurs incapable d’être présent même lors des évènements importants de notre existence.

Pour expliquer le phénomène bien des théories sont avancées : prépondérances des écrans dans nos vies avec leur effets addictifs et reconfigurant pour notre mental, problèmes d’éducations, stress, un monde devenu un peu fou, alimentations pleines de pesticides, d’antibiotiques, conservateurs et autres additifs déréglant la biologie de notre corps et de notre cerveau… Mais il se trouve que si tous ces facteurs ont potentiellement un poids sur l’évolution actuelle de la situation, le problème ne date pas d’aujourd’hui. Plus de mille ans en arrière on trouve dans la littérature des témoignages de personnes se plaignant de leur incapacité à se concentrer.

Pour comprendre le fonctionnement de l’attention et les difficultés inhérentes qu’elle présente ainsi que ce que l’on peut faire pour y remédier une modélisation du phénomène s’impose. Le corps humain est soumis à un flux d’information d’une densité impossible à gérer, une quantité qui dépasse nos capacités de traitement conscient et qui si elle était perçue et traitée en temps réel nous laisserait complètement paralysé. Par moment on est ouvert, on laisse tout rentrer jusqu’à ce que quelque chose attire notre attention. Alors on se concentre sur cette partie du flux entrant. Elle prend le devant de la scène et donc le reste disparait plus ou moins en arrière-plan. On va être focalisé dessus jusqu’à ce que quelque chose d’autre en périphérie attire notre attention et donc celle-ci va basculer d’un domaine à l’autre. Parfois c’est un changement bienvenu, parfois c’est désastreux, une distraction peu pertinente nous fait louper une décision vitale ou moult informations et occasions importante. Heureusement il y a une partie de notre conscience qui va s’alarmer et nous faire sortir de cette distraction pour nous concentrer sur un élément plus pertinent. Devant ce flot il est important de discriminer ce qui est important de ce qui ne l’est pas, et de se concentrer sur cette partie du flux.

Voyons dans le détail quelles sont les instances de notre esprit qui ont été sollicitées dans ce petit scénario. Amishi Jha, l’autrice de Peak mind, en a dénombré 3 :

La lampe torche : c’est notre capacité à nous concentrer sur un point, un sujet, une pensée, une sensation en excluant le reste.

Le plafonnier qui lui éclaire partout : on est ouvert à tous les flux.

Le jongleur : c’est la partie de notre esprit, qui va nous faire basculer VOLONTAIREMENT notre attention dans une direction ou dans une autre choisie par rapport à nos objectifs.

A ces instances s’ajoute un quatrième élément fondamental pour comprendre les difficultés qu’on peut rencontrer pour utiliser notre attention de manière productive :

La mémoire de travail, qui pourrait être assimilée à la mémoire vive d’un ordinateur. C’est un espace limité de notre esprit où se retrouve nos ce qui a traversé très récemment notre conscience. On pourrait imaginer un rectangle dans le sable qui serait couvert régulièrement par les vagues du bord de mer. Si après une vague l’information écrite peut être encore lisible, au bout de deux ou trois il n’en restera rien. Pour qu’une information puisse rester dans notre esprit, il faudra la réécrire encore et encore en utilisant notre attention. Si on est distrait au lieu de repasser le trait on va écrire d’autre chose dans notre rectangle et après quelques vagues on aura perdu l’information. La mémoire de travail est très sensible au stress et aux émotions perturbantes, pour rester dans la métaphore on pourrait dire que ces facteurs sont comme un marrée haute qui va réduire la taille de notre rectangle et augmenter la fréquence des vagues destructrices.

 

Les problèmes d’attention découlent du fonctionnement naturel de l’homme, un fonctionnement qui fait sens si on se réfèrent à nos ancêtres vivant dans une nature non domestiquées, et où les dangers étaient omniprésents et demandaient à être adressés de manière immédiate. Pour la personne en train de ramasser des baies et des fruits, se perdre dans cet exercice au point de ne pas  

Alors que faire ?

 

Il est tout à fait possible de muscler notre capacité à être attentif. Une solution, simple et accessible, est disponible depuis des milliers d’années : la méditation. Tout comme il n’est pas recommandé de faire une séance de musculation au beau milieu d’un déménagement pour améliorer notre capacité à porter des meubles, autant méditer au moment d’un problème d’attention n’est pas idéal. La méditation en pleine conscience va muscler en amont notre capacité à se concentrer.

Mais qu’est ce que la méditation en pleine conscience ? Elle n’a rien à voir aux médiations que l’on peut trouver en littérature ou l’auteur va creuser un sujet et nous livrer ses pensées. Elle n’a pas de rapport avec les médiations guidées qui sont autant d’invitation à utiliser notre imagination pour vivre des aventures intérieures généralement relaxantes. Ce n’est pas non plus la pratique bouddhiste. Non, celles dont il est question dans le livre d’Amishi Jha sont des exercices mentaux où l’on va être conscient du passage de nos sensations et nos pensées tout en se gardant d’engager avec elles.

La méditation en pleine conscience popularisée dans le monde occidental par le médecin Jon Kabat-Zinn au tout début des années 90 est une reformulation séculaire et pragmatique de pratiques que l’on peut trouver dans la tradition bouddhiste depuis des milliers d’années. Si Kabat-Zinn a fait un travail clinique important pour prouver l’utilité d’une telle pratique pour la gestion de la douleur et de l’anxiété, celle-ci était encore tabou dans les milieux de la recherche Scientifique quand une bonne dizaine d’années plus tard Amishi Jha a décidé d’étudier son impact sur la qualité d’attention. Ce choix de sujet d’étude était considéré comme étant un suicide professionnel à l’époque.

Il existe bien des méthodes censées améliorer l’attention, des exercices, des médicaments, des compléments alimentaires, et pour avoir une idée claire de leur efficacité des tests standardisés et acceptés par la communauté scientifique avaient déjà été inventés quand l’autrice a commencé à étudier l’impact des exercices de méditations. Elle a commencé à évaluer l’impact de la pratique sur des gens faisant une retraite méditative, et les résultats se sont montrés concluants. Mais la population ayant ce genre de pratique est loin d’être représentative de la population générale, de plus rares sont les personnes qui peuvent se permettre de faire de telles retraites ou même qui en ont envie.   Pour la suite de ses expériences Amishi a travaillé avec des gens on ne peut plus différents : des militaires.

Pour eux les erreurs d’attention ont des conséquences gravissimes, et ils travaillent dans un cadre extrêmement corrosif pour la capacité à se concentrer, car ce n’est pas juste la mémoire de travail qui est impactée par le stress et les émotions fortes, les autres instances le sont aussi largement. Là encore les résultats se sont montrés concluants mais avant d’arriver au protocole actuel qui est utilisé dans certaines unités pour blinder les capacités d’attention des soldats, il a fallu faire subir aux exercices quelques adaptations. Progressivement, en s’appuyant sur des militaires connaissant le métier, son langage et ses besoins elle a pu adapter son discours pour motiver les soldats à faire les exercices et elle a déterminé le seuil du temps minimal nécessaire pour avoir des effets notables : 12 minutes, 5 jours par semaine pendant quatre semaines.

Exercice 1 : l’attention sur la respiration

Un grand classique. Il est recommandé de le faire debout ou assis, de fermer ses yeux, et de tourner son attention vers sa respiration ou plus particulièrement une partie de celle-ci. Par exemple le contact de l’air avec le nez, ou encore le mouvement du ventre. De là, pendant toute la durée de l’exercice, l’attention ne va pas cesser de partir dans tous les sens, et le but va être de s’en rendre compte le plus tôt possible et sans commenter, sans réagir à la pensée attrapée, de revenir sur la respiration, encore, encore et encore. Cet exercice fait travailler la lampe torche, elle vous oblige à concentrer votre attention à un endroit unique. Elle fait aussi travailler le plafonnier, en effet c’est lui qui va vous permettre de voir que votre attention est ailleurs que là où elle doit l’être, et c’est le jongleur qui va la remettre en place. Cet exercice fait aussi travailler la méta attention, c’est-à-dire la conscience de l’endroit où est votre attention. Vous allez en le pratiquant être de plus en plus susceptible de voir ou sentir naturellement si vous êtes au bon endroit ou pas, et donc dans la vie de tous les jours vous allez vous surprendre bien plus facilement dans vos errances et rectifier le tir illico presto. Le but n’est pas de faire le vide, il y aura toujours quelque chose pour attirer votre attention, que ce soit à l’extérieur de vous à l’intérieur avec une sensation ou une pensée.

Exercice 2 : scanner son corps

Après trois bonnes respirations profondes et conscientes, on va concentrer son attention sur un de ses orteils, puis un autre , puis encore un autre puis le pieds tout entier, puis l’autre pied, puis une cheville, puis l’autre cheville et ainsi de suite jusqu’à atteindre le sommet de crane : la lampe torche va donc se déplacer progressivement, alors que l’attention ne va pas cesser d’essayer de s’échapper et à chaque fois il faudra la rattraper, et revenir sur la partie du corps qui est scannée. C’est un autre exercice basique idéal pour développer les trois instances mais qui va au-delà, il nous aide à développer une capacité d’écoute sur ce qui se passe dans notre corps. Beaucoup de gens sont trop dans leur têtes (leurs pensées, souvenirs, simulations…) et on une conscience limitée de leurs sensations et donc de leurs émotions. Elles ne deviennent conscientes que tard dans le processus, généralement quand elles ont atteint une intensité importante ou quand elles se sont exprimées de manière tonitruantes … et là, le mal est fait.

Généralement laisser ses pensées divaguer c’est rentrer dans une machine à voyager dans le temps : on rejoue des scènes du passées, on fait des simulations de futurs probables, on réécrit l’histoire…Être dans son corps, autrement dit concentrer notre attention sur ce qui se passe à l’intérieur de celui-ci, nous permet d’être dans le présent, ce qui est très bon.

Exercice 3 : la rivière des pensées

C’est un peu regarder par la fenêtre du train passer le paysage. On commence encore par quelques respirations profondes et conscientes, puis on va délaisser la lampe torche pour étendre notre conscience à notre corps et notre environnement, et de là on va observer comment notre attention va se laisser happer par des pensées, des sensations et autre, et sans commenter, classer, ou réagir d’une manière quelle qu’elle soit on va laisser la pensées mourir d’elle-même et revenir sur notre plafonnier, à l’écoute, prêt à observer et laisser partir la prochaine pensée.

Exercice 4 : connexion

Pour ce dernier exercice, on va être bien plus actif. Après quelques respiration profondes et consciente on étend notre attention à notre corps et notre personne. On prend en quelque sorte conscience de notre état physique, émotionnel et mental, sans commenter, qualifier ou que ce soit. De là pendant trois minutes on va se souhaiter que des bonnes choses avec des phrases comme : « que je sois heureux », « que je sois en bonne santé », « que je sois en sécurité », « que je vive en paix » etc. après cette période on va émettre les mêmes souhaits pour une ou des personnes qu’on aime beaucoup, après ça sera dirigé vers une personne qui nous laisse indifférente, puiss vers une personne difficile. On n’est pas en train de valider son comportement, on fait juste preuve de bonté. Pour terminer on va étendre nos vœux à toutes les personnes de notre maison, de notre ville, de notre pays, et enfin le reste de la terre. Bien sûr notre attention va prendre la tangente, et il nous faudra revenir sur nos vœux immédiatement.

En bonus voici deux techniques intéressantes qu’on peut pratiquer de manière ponctuelle quand une situation nous amène à avoir bien des pensées perturbantes :

Pratique intéressante : la vision de l’aigle

Régulièrement on ne prend pas les choses telles qu’elles sont. On est dans une simulation d’une situation (à venir, ou passée, ou fantasmée), une simulation biaisée qui s’appuie sur une vision réductrice du monde. La simulation aura tendance à emprunter une structure familière, qui tourne autour de nos obsessions, nos peurs, et nos croyances sur le monde. En thérapie on pourrait passer du temps à décortiquer les schémas ainsi exprimés, mais là on va prendre une voie très différente, que l’on appelle décentrage. Dès que l’on se surprends à partir dans un de nos scénario et autres simulations, on va faire un pas de côté, et regarder la scène de l’extérieur. On a besoin de récupérer de l’information, et pour cela un point de vue impartial est toujours plus important qu’une interprétation personnelle. Pour ce qui est du dialogue intérieur, on va passer du « je » à « il » (ou utiliser notre prénom)

variante : arrête, laisse tomber et roule

Devant une déconvenue ou un comportement blessant venant d’une personne que l’on apprécie, la colère va sans doute nous traverser. Si notre conscience nous alerte avant que nous explosions plutôt que de laisser l’émotion tout bruler et de dire ou faire quelque chose qu’on pourrait regretter on peut adopter la stratégie suivante :

Commencer par cesser de se battre : ce qui est fait est fait.

On laisse tomber l’histoire que l’on se fait de la situation, celle-ci n’est qu’une vision de la réalité. Et on peut se montrer curieux de comment la situation va évoluer.

Remarques :

·         Même si Amishi Jha ne met pas vraiment l’accent dessus, il est intéressant de ne pas limiter la méditation à une pratique programmée assise sur une chaise loin de toutes distractions mais de l’intégrer dans nos taches quotidiennes. Lors de nos déplacements à pied comme en véhicule, au lieu de les faire en écoutant de la musique ou des podcasts, il peut être intéressant de laisser passer les pensées qui viennent et de concentrer notre attention sur la route en mixant lampe torche et plafonnier. On peut brosser ses dents en pleine conscience, on peut manger en pleine conscience quand on est seul, etc.

·         Ces exercices dans leur état pur ou dans leur adaptation aux taches de notre vie quotidienne nous offrent une liberté, on va être capable de plus de recul, mais ça n’a rien d’une obligation, on est toutefois capable de se perdre dans certaines scènes quand c’est adéquat pour nous.   

·         Les premiers pas de la méditation en pleine conscience sont souvent durs, ça va à l’encontre d’habitudes qui nous ont accompagnée toute notre vie. De plus ça provoque un regain de conscience et donc certaines choses que l’on s’était plu à ignorer jusqu’ici (douleurs, mal être, pensées obsessionnelles) vont re-montrer le bout de leur nez. Elles étaient là en arrière-plan à nous détruire tranquillement et de les voir enfin va nous pousser à les adresser de manière adéquate.

·         Pour revenir aux pensées obsessionnelles et aux émotions intenses, la méditation est très bonne pour les gérer. Contrairement aux refoulements qui les amplifie, au passage à l’acte qui a des conséquences des fois désastreuses, en étant là, présent, observateur désengagé, elles vont s’épuiser d’elle-même, enfin dépourvue de l’énergie d’opposition ou de validation et de renchérissement qui généralement leur donnent du carburant.

·         Tous ces exercices nous aident à lutter contre les égarement de la pensée aux moment où ceux-ci sont gênant pour notre travail, nos relations, nos hobbies,… mais à d’autres moment se perdre dans nos rêveries peut être agréable et même utile. Faire des simulations peut nous aider à préparer la gestion des problèmes à venir, revenir sur des souvenirs permet de mieux comprendre ce qui a pu se passer. L’analyse des simulations nous permet des fois de voir plus clairement certaines habitudes de pensées, émotions perturbantes et obsessions et donc ce faisant, plus tard, les revoir passer dans notre esprit nous réveillera à leur nature illusoire et maladive. Ce n’est pas tout, certaines études montrent que pour passer de la mémoire de travail à la mémoire à long terme il est important après la répétion, et la simulation/contextualisation, il est bon de laisser notre esprit errer et se reposer de tous ces efforts de concentration.

·                    L’ennui est un indicateur : dans la tâche que nous sommes en train d’effectuer, il y a un ratio effort/réconfort(stimulation) pas très intéressant. On préférerait jouer, être stimulé, mais des fois la vie c’est aussi des tâches répétitives, et l’ennui est une impression avec laquelle il nous faut apprendre à composer. La méditation est avouons-le souvent particulièrement barbante, faire les exercices relève du tour de force, et c’est donc un super entrainement pour accepter l’ennui qui accompagne nos taches à faire.

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