Le patient récalcitrant

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« Ne t’inquiète pas bébé je vais changer » dit-il.

Pas besoin de connaitre le contexte ou quoi que ce soit, la suite on la connait, le bougre ne changea jamais.

Si certaines transformations se font de manière naturelle et sans à-coup, presque sans attirer notre attention, beaucoup nous demandent de mobiliser nos ressources et au prix d’une certaine dose de sueur et de douleur finissent par aboutir… certaines fois.

A nos actes manqués !

Une bonne partie de ces changements compliqués ou complètement raté étaient prévisibles. Au moment de se poser la question du « pourquoi changer ? » il apparait que la motivation vient de l’extérieur. On veut plaire à X, ou que Y nous fiche la paix. Des fois à titre personnel on est indifférent quant au sujet, des fois on est, sans se l’avouer clairement, récalcitrant voir fâché devant que ce l’on se voit demandé. Dans ces situations, si le thérapeute ne fait pas un travail nécessaire de recadrage et de contrat très tôt dans le travail, son alliance contre le problème peut exploser en plein vol et le thérapeute se retrouve alors seul attaqué sur deux fronts.

Dans d’autres situations le patient, le patient est sincère et il pourrait jurer la main sur le cœur qu’il a envie de changer. Le problème c’est qu’à ce moment là le client est concentré sur ce que lui coûte la situation actuelle et du coup il oublie bien d’autres éléments de sa vie. Ce n’est pas de la duplicité, c’est juste le fonctionnement de l’humain, on ne peut pas tout avoir en tête, et nos émotions sont une réaction à ce qui est au centre de notre attention (oui, oui je sais, c’est largement plus compliqué que ça, mais rentrer dans les détails ne nous permettra pas d’y voir plus clair). Le client est à 100% sincère sur le moment et puis le moment passe. Les circonstances changent et avec elles les priorités de l’intéressé. Les 100% s’effondrent et la résistance se réveille. C’est pour ça que durant la détermination d’objectif, on doit déterminer quelle est l’utilité pour le client de ce dont il veut tellement se débarrasser et de chercher des solutions de substitutions.

Par moment le client sait à quel point le changement va lui coûter, et il choisit de s’engager. On pourrait avoir envie de saluer son courage mais à mon avis ça serait un rien prématuré. En politique comme en d’autres circonstances les gens n’ont aucun problème à dépenser des sommes colossales, à accepter l’austérité… Des héros ? Des modèles ? Que nenni, c’est jute très facile de faire des promesses avec l’argent des autres, et nettement moins avec le sien. On peut se demander quel est le rapport avec le patient qui ne peut payer qui que ce soit pour traverser les épreuves à venir à sa place. Le mot clé ici est « à venir » (oui je sais, écrit comme ça, ça fait deux mots.) La vie à crédit, s’amuser maintenant et payer plus tard. Le moi futur est abstrait, il est lointain, il est tellement virtuel, c’est à peine s’il existe, alors les promesses des souffrances à venir son faciles à faire sans avoir l’impression d’être malhonnête. Le jour où il faut payer, par contre, on peut être tenté de remettre le début du régime ou du travail à plus tard. C’est normal c’est ce qu’on a toujours fait jusqu’ici, donc on est devenu des bêtes de compétition en la matière.

Le plaisir de dire non

Certains clients donnent l’impression, après coup hélas, de ne venir consulter et essayer que pour avoir le « plaisir » de rater. Ça peut sembler aberrant comme ça, mais pour certains d’entre eux, après plusieurs essais et autant de thérapeutes, ils sont devenus des experts de l’échec, et donc celui-ci est leur position d’équilibre et de confort. Ils peuvent dire qu’ils ont essayé, que leur pathologie est extrêmement résistante, qu’ils sont des victimes des circonstances. Même dit comme ça, ça ne semble pas être une explication satisfaisante car aucun de ces arguments n’est bien glorieux. LA pire hantise pour l’égo ce n’est pas d’être mauvais, c’est d’être moyen, de ne pas se différencier et donc de ne pas exister. Bien sûr à choisir on préfèrera être bourré de qualités et être en pleine réussite, mais quand c’est impossible on préférera sauter à deux pieds de l’autre côté de la barrière que rester les fesses posées sur celle-ci. En fin de course, acculé au bord du vide, l’autodestruction peut être la seule option, le seul acte délibéré que l’on puisse faire de sa propre volonté.

Pour les patients leur relation avec le thérapeute n’est pas sans rappeler celle qu’ils ont pu vivre par le passé avec leurs parents, leur prêtre, leurs profs ou toute autre personne ayant une sorte de pouvoir ou d’aval moral sur eux. Ils étaient impuissants mais maintenant ils sont grands, et ce qu’ils n’ont jamais pu faire jusqu’ici leur tend les bras. Ils peuvent enfin dire non, ils peuvent s’affirmer. Sus à l’autorité.  Ce n’est pas un problème insurmontable une fois que le patient comprend ce qui est en train de se jouer (ce qui n’est pas nécessairement gagné d’avance).

Par le passé, mu par l’arrogance de la jeunesse j’ai accepté de travailler avec des récidivistes. Je m’imaginais être celui qui allait renverser la donne, autrement dit les thérapeutes avant moi n’étaient qu’une bande de blaireaux incompétents… au final, pour cette situation au moins, je me suis avéré être un blaireau comme les autres.  

Je ne suis pas en train de dire qu’il fallait fuir les pauvres bougres ayant eu le malheur de ne pas trouver le thérapeute adapté pour se soigner. Non, mais à défaut de fuir il faut redoubler de vigilance. Si en plus, sans doute forte de ces années d’échange avec vos collègues, ils ont des idées très arrêtées sur son problème, leur capacité à changer, et bien d’autre chose, il est temps de chausser vos chaussures de cross. Et si en plus ils commencent à critiquer vos collègues, aussi rigolo que ça puisse être de voir la compétition en prendre pour son grade, il faudra vous dire que vous êtes sans doute le prochain incompétent sur la liste et que chez leur prochain thérapeute c’est sans doute vous qui vous ferez taillé un costume.  

De nombreux thérapeute qui proposent des suivis réguliers s’étendant sur de longues durées, insistent pour un CDD avant le CDI. Généralement trois séances leurs suffisent pour voir si les personnalités et dynamiques respectives matchent pour pouvoir faire un travail pertinent et positif pour l’un comme pour l’autre.

Le patient impatient

Maintenant qu’on a mis de côté les patients les plus problématiques et potentiellement inadaptés pour le travail thérapeutique il est temps d’aborder les thérapeutes ayant tendance à voir tout une partie du public ou de leur patientelle de la sorte.

Quand on utilise la PNL, l’hypnose et beaucoup d’autres outils pour les thérapies courtes on peut se retrouver pris dans une logique de rentabilité/ efficacité. Le temps presse. On a nos petites techniques super efficaces et on prie pour que le patient soit REELLEMENT coopératif, pas un de ces cas compliqués qui transforme ta séance en course d’obstacle. On a envie qu’ils en aient pour leur argent mais s’ils pouvaient s’abstenir de nous mettre des bâtons dans les roues ça serait aussi très sympa. Finalement on pourrait développer une certaine ambivalence vis-à-vis du client. Nous on bosse contre le problème, le client par contre on ne sait pas trop quoi penser de lui. Il peut être un allié, mais ça peut devenir aussi un foutu boulet.

Tic toc, tic toc, ils sont où ces résultats ? Pourquoi est ce que je te paye, grosse feignasse !

La thérapie courte a un arrière-gout de produit de consommation, et le super thérapeute d’entant ressemble un peu à un larbin maintenant, le UBER de la thérapie. La structure même de ce genre de soin, la nécessité de résultat, le tic toc de la montre, le nombre d’étoiles sur les avis google confinent l’utilisateur comme le prestataire dans une zone de posture, de rapports superficiels peu propices à la vulnérabilité et au développement de rapports vrais. Il n’y a pas assez d’espace pour respirer, pour sentir, se faire confiance et laisser émerger ce qui a si longtemps été réprimé.

On pourrait trouver que pour un type formé entre autres en hypnose/PNL et je suis un peu dur avec mes confrères. Après tous les gens savent dans quoi ils s’engagent, ils savent ce qu’ils veulent et en théorie, à priori ils finissent par obtenir ce pourquoi ils payent. Mais ça me fait mal de voir la manière dont la « gestion » de la santé a évolué en France comme dans tous les pays prix à la gorge par la sécurité sociale ou son équivalent local. La politique du nombre et de l’efficacité font qu’à moins d’un dépassement considérable d’honoraire le médecin n’a plus le temps de parler avec le patient, d’aller ne serait ce qu’un tout petit peu sous la surface. A ça s’ajoute une culture de l’instantané, entouré de nos écrans si réactifs et nous aspergeant de dopamine en permanence. Dans ce contexte il est possible que l’idée de s’engager dans un processus d’exploration et d’échange en tête à tête soit devenu inimaginable pour certains. Je pense que par manque d’argent, d’imagination ou d’éducation beaucoup de gens se retrouvent privés d’un soutient qui pourrait leur faire le plus grand bien.

Quand ils ne jouent pas le jeu.

Des fois le patient ne fait pas le travail nécessaire en dehors du cabinet. Il baisse les bras, ment sur la quantité de travail fourni, cesse de venir aux séances. On a l’impression d’avoir à faire à un cas classique de manque de motivation. On peut penser qu’il s’est engagé à la légère on qu’on a bâclé la déclaration d’objectif mais la vérité c’est que sans exploration ces pensées sont des préjugés ou des spéculations.  Ce n’est pas parce qu’on a posé les bonnes questions et qu’en face le patient a fait de son mieux qu’on a en main toutes les clés du problème. Une partie de celle-ci sont enfouies sous la conscience du patient, et ça demande plus qu’une heure d’anamnèse pour les atteindre et permettre leur verbalisation. Il faut accepter que la thérapie ne soit pas en ligne droite. Des fois des pas sur le côté voir des retours en arrière s’imposent. Nous sommes en face du vivant donc les surprises font partie du processus.

Avec un revolver contre la tempe on est capable de bien des exploits, on est capable d’un engagement sans faille, du coup quand le client ne fait pas le travail on pense manque de motivation voire mauvaise volonté. Confronté à une telle situation le thérapeute pourrait se braquer. Ce dernier désire un travail collaboratif et non une partie d’échec. Il pourrait être tenter d’être coercitif, de faire pression. Il pourrait être tenté de voir les cachoteries et le manque d’entrain comme une remise en question de son travail et de la relation de confiance qu’il en censé développer avec son client. Il existe bien des règles du jeux pour la thérapie, et elles dépendent beaucoup de la personnalité du thérapeute et par extension de l’école de pensée qu’il aura choisi. Dans certains cadres l’échec est une option, il peut y a avoir des retours en arrière, des moments de démotivation. L’important c’est d’en discuter et de trouver les moyens de les régler. A l’opposé, certains praticiens se disent qu’en adoptant une attitude de sergent, en avant toute, l’échec n’est pas une option, ils appliquent suffisamment de pression pour que son client se dépasse là où une approche plus maternante aurait facilité la régression et la perte d’élan. Je pense qu’il n’y a pas nécessairement de mauvaise approche dans l’absolu, par contre il peut y en avoir certaines qui sont complètement inadaptée pour le patient. Je pense que plutôt que de viser une certaine neutralité, et de chercher à s’effacer derrière son rôle, le thérapeute à tout à gagner à viser l’authenticité (en gardant toute fois l’œil ouvert pour éviter les débordements) On ne peut pas plaire à tout le monde, l’offre en termes de techniques comme de personnalité est pléthorique, donc on n’a pas à s’en faire, si ça ne matche pas, en continuant ses recherches, le patient finira par trouver quelqu’un qui lui correspond vraiment.

Quand on n’est pas pressé par le temps, l’échec fait partie du processus, car c’est une partie de la vie, tout comme la démotivation, et une fois reconnues on pourra trouver des moyens de dépasser ces difficultés et de panser les blessures qu’elles semblent réactiver. On est dans un processus long et profond, proche de la rééducation et donc on est à mille lieues des approches mécaniques et ultra pragmatiques. On est dans une relation et non dans une collection de case à côcher.

Et si, et si, et si…

Souvent après un traumatisme le client voudrait pouvoir aller de l’avant. Il sent qu’il a été arrêté net et que toute sa vie à été complètement retournée. Il vient en consultation pour un des problèmes générés par l’incident et malgré tous les efforts du thérapeute comme du client la situation reste bloquée. Des fois c’est l’histoire de l’arbre qui cache la forêt, des fois l’arbre ne fait qu’un avec cette dernière et vouloir l’arracher demanderait une énergie bien au-delà de celle fournie par les efforts conjugués. Des fois la vie d’avant n’était pas si formidable que ça et l’incident a servi d’accélérateur, tous les problèmes préexistant mais invisible jusqu’ici se sont cristallisés sur lui. La situation est alors bien plus complexe qu’initialement prévu et sans doute que le temps nécessaire pour l’accompagnement sera d’autant plus long. Tout ça c’est du cas par cas, il n’y a pas de protocole qui puisse tout couvrir à 100%. Les méthodes apprises ici est là sont des gammes à partir desquelles le thérapeute comme le client vont devoir improviser

Le long chemin

Tout comme on peut passer d’un achat à un autre, d’un objectif à un autre sans que ça ne soit jamais assez, on passe souvent d’un trouble au suivant sans que le bien être et la paix intérieure n’ai le temps pointer le bout de leur nez.  Personnellement je pense que tous les bobos, maladies et traumatismes sont autant des souffrances que des opportunités. Pas de hasard pour moi, pas de karma vengeance non plus. Pas de « manque de bol » pas plus que de « c’est le bon dieu qui t’a puni » ou de « si ça t’arrive tu l’as bien cherché, dans cette vie ou celle d’avant ». Pas de culpabilité non plus à éprouver cette impression qu’il y a en nous toujours quelque chose qui cloche

Les évènements de notre vie et dans notre corps parlent de ce que nous sommes et des forces qui nous traversent. Reconnaitre ce qui pose problème est nécessaire avant de pouvoir mettre en œuvre une approche adaptée pour pouvoir s’en débarrasser, mais même si la victoire est au bout de l’épisode, sans investigation profonde et cheminement intérieur, le thème reviendra vraisemblablement assez rapidement. Pour moi l’objectif est autant central que prétexte pour se mettre en route et mettre des mots derrières les maux. Mettre de la conscience derrière ce qui nous travaille. L’objectif est un fil rouge. Des fois il n’est qu’une partie de celui-ci, une étape intermédiaire avant de basculer vers une perspective élargie, ou une autre problématique. Mais à mon avis rester le nez collé dessus, faire du changement et de la guérison une obsession c’est risquer de passer à côté du reste, comme pour tous les voyages ce n’est pas la destination qui prime mais l’odyssée qui va nous y amener.

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